jeudi 12 juillet 2012

Guérison

Divine guérison
Je sors lessivé et diminué du traitement d'une maladie dont  j'ai ignoré l'existence pendant trente ans. Dans quelques semaines je saurai si je suis 'guéri'.
Trois mois après la fin de mon traitement, me voyant pas très en forme, un ami m'a dit : ' fais le plus de choses possibles qui te détournent de l'hépatite'. C'est un peu comme si à l'issue de l'enterrement d'un proche il m'avait dit que pour que tout s'arrange il suffisait que je n'y pense plus. En effet même si mon entourage semble en avoir assez de toutes ces histoires de traitement, d'effets secondaires et d'hépatites, la récupération est pour moi loin d'être immédiate. Si guérison il y a (ou plus exactement il devrait y avoir) elle cache son jeu sous des airs de victoire à la Pyrrhus.   Au sujet de la guérison de l'hépatite Cvous trouverez , en cliquant sur 'plus d'infos>>', un excellent texte de Thomas Laurenceau qui illustre bien ce que je ressens maintenant et que je veux dire ici. 
A part ça, 'je vais bien, tout va bien'...
Ozias

Que faire de la guérison ?

Je crois qu’il y a eu une erreur de casting.
On m’a demandé de parler de la guérison, mais en fait je ne suis pas vraiment guéri. 

Même si, sur le papier, je suis bien « répondeur virologique prolongé ». Dans un premier temps, ça m’a posé problème. Au point que je me suis demandé s’il était moral de vous parler de guérison puisque que je ne me sentais pas vraiment guéri. Et puis j’ai regardé le programme de la journée. Quand j’ai vu tous ces gens qui venaient parler de l’hépatite alors qu’ils ne sont même pas malades, je me suis dit que ça compenserait… D’autant que la guérison, je connais un peu quand même. J’ai même guéri plusieurs fois. Avant d’avoir ma guérison en CDI, j’étais en effet un intermittent de la guérison. Ça fait quand même plus chic que répondeurrechuteur… Je compte néanmoins sur votre indulgence, puisque je ne suis qu’un patient sur la route de la guérison. Car guérir, ce n’est pas passer brutalement d’un état à un autre. C’est un cheminement, bien plus long et bien plus solitaire qu’on ne l’imagine. Un long chemin, parce qu’il ne faut pas quelques semaines, comme le prétendent certains médecins, mais bien des mois pour le parcourir. Et nous connaissons tous des gens qui, deux ou trois ans après l’arrêt d’un traitement déclaré efficace, ont le sentiment de ne pas en avoir fini avec l’hépatite. D’ailleurs, est-ce qu’on peut se considérer comme guéri alors qu’on n’a toujours pas retrouvé le sommeil ? Est-ce qu’on peut se considérer comme guéri lorsqu’on a la thyroïde bousillée ? Est-ce qu’on peut se considérer comme guéri quand on doit aller tous les six mois vérifier si un petit nodule n’est pas en train de couver ? Et même, est-ce qu’on peut se considérer comme guéri, alors qu’on a perdu son boulot, son conjoint ou tout simplement sa soif de vivre ? Bref, nous le savons tous – enfin j’espère – la disparition du virus ne signe pas exactement la guérison. A ce propos, juste une parenthèse : il serait intéressant que, un jour, quelqu’un ait le courage de lancer une vaste enquête épidémiologique sur le devenir des personnes guéries. Une enquête qui ne s’intéresserait pas seulement à l’hépatite, aux lésions du foie, ce que l’on fait déjà. Pas seulement non plus aux éventuelles séquelles psychologiques, ce qu’on commence à prendre en considération. Mais une étude qui tiendrait compte de tous les indicateurs de santé. Comment vont les nerfs, la peau, les dents, les yeux et les oreilles ? D’autres maladies sont-elles apparues après le traitement ? Ont-elles fait leur nid sur un organisme déstabilisé, fragilisé ? Quelque chose me dit qu’on découvrirait peut-être des choses étonnantes. Fin de la parenthèse.
Revenons-en à notre guérison. Dans un groupe de parole auquel j’ai longtemps participé, un des membres avait développé une théorie intéressante. Pour lui, le processus de guérison consistait à ranger les problèmes relatifs à l’hépatite dans des boîtes. Au début, il avait conservé la boîte à portée de main. Et puis, le temps passant, il l’avait rangée sur une étagère en hauteur, parce qu’on la sortait de plus en plus rarement. Et ainsi de suite, de plus en plus haut, jusqu’au jour où la boîte irait au grenier rejoindre d’autres boîtes. Pour lui, c’était ça la guérison. L’hépatite n’avait pas disparu, elle avait été rangée. Eh bien, franchement, je trouve que ce critère non virologique en vaut bien d’autres. D’ailleurs, j’ai chez moi une boîte d’archives, marquée « dossier médical ». Dedans, il y a vingt ans de prises de sang, de comptes-rendus de biopsie et autres joyeusetés hépatantes. Eh bien, pour le moment, cette boîte est rangée sur une étagère, entre la boîte des factures et celle
des bulletins de salaire. C’est bien la preuve, comme je vous le disais, que je ne suis pas vraiment guéri. La guérison est un long chemin, donc. Un chemin solitaire aussi. Même si vous avez eu la chance d’être accompagné par votre entourage tout au long de la maladie, avant et pendant le traitement - et c’est mon cas -, vous pouvez vous retrouver bizarrement seul après. Seul et frustré. Vous espériez aller mieux, et vous vous traînez lamentablement. Moi qui ai guéri plusieurs fois, je peux vous assurer que c’est bien la dernière fois, c’est-à-dire la fois où le traitement a vraiment marché, que j’ai eu le plus grand mal à remonter la pente. Au cours des rechutes précédentes, j’avais plus facilement retrouvé mon équilibre antérieur. Comme si l’organisme habitué à cohabiter avec le virus s’était trouvé déstabilisé par sa disparition. Seul, on l’est aussi avec l’angoisse de la rechute, alimentée par les petits accidents de la vie quotidienne. Il y a les frissons qui viennent comme des retours d’interféron. Il y a la fatigue qui vous retombe dessus sans crier gare, au moment où venez de vous dire que vous êtes plutôt en forme, ces jours-ci. Il y a toutes ces manifestations de l’hépatite fantôme, un peu comme on peut ressentir des douleurs fantômes à un membre amputé. Seul encore face à votre entourage, qui vous a supporté pendant si longtemps et qui aimerait bien que ça se termine, cette histoire. Parfois, on vous tient un discours rassurant de supermarché. Des trucs censés vous booster le moral et qui, au fond, vous renvoient à votre solitude. Je sais de quoi je parle, ce discours, je l’ai moi-même tenu pendant des années dans les groupes de parole que j’animais :
« C'est normal »
« J’ai ça qui va pas, et ça qui ne marche pas guère non plus, et ça me gratouille en dedans » , etc.Le médecin, lui, il vous sort sa moue dubitative. C’est extrêmement fréquent, comme symptôme. Dans ma file active de médecins, je dirais que je l’ai rencontré chez pratiquement 100 % des sujets. Ce symptôme, que j’ai bien étudié pendant toutes ces années, traduit tout simplement le désarroi du médecin. Un toubib, quand il ne sait pas, il est paumé. Alors, il vous sort sa moue dubitative. C’est une sorte de défense, une réaction immunitaire. Je ne connais qu’un seul remède : le temps. Je ne voudrais pas trop jouer l’ancien combattant, mais il y a vingt ans, quand je disais aux médecins que mon hépatite « non A non B » me fatiguait, ils avaient déjà cette fameuse moue dubitative. Aujourd’hui, ils sont nombreux à ne plus l’avoir quand on leur dit que l’hépatite chronique, c’est fatigant. C’est que, entre-temps, on a publié des études… Je vous prédis que, dans quelques années, il en sera de même quand vous évoquerez votre syndrome post traitement. Des études auront été publiées dans Gastro-entérologie clinique et biologique, elles auront scientifiquement démontré la réalité dudit syndrome, alors ils iront mieux. Maintenant que nous avons soigné le médecin, revenons au malade que nous avons laissé sur le long chemin de sa guérison solitaire. Il a d’abord dû se remettre du traitement ; c’est Psychologie une première guérison. Il lui faut maintenant se défaire de son statut de malade chronique. Pas facile, quand on y réfléchit : une maladie chronique, c’est a priori une maladie qui ne s’arrête pas. C’est à ce moment-là, en général, qu’on nous sort le coup de l’acceptation de la guérison. Pour se remettre vraiment, il faut accepter de guérir. Sur le principe, j’adhère à l’idée. Mais attention : se focaliser sur l’acceptation de la guérison, c’est aussi prendre le risque de penser que, après le traitement, il n’y aurait plus qu’un travail mental à accomplir. Sous entendu, les troubles résiduels dont tu te plains, c’est dans ta tête… Faites attention : si vous commencez à penser cela, la moue dubitative vous guette ! Pour autant, il faut bel et bien apprendre à guérir, tout comme on a dû apprendre à être malade chronique. C’est là que vous réalisez à quel point l’hépatite s’est nichée dans tous les recoins de votre vie. La vôtre, et celle de votre entourage. Un exemple personnel, tout bête. Pendant toutes ces années où j’ai côtoyé l’hépatite, je n’étais pas simplement fatigué. J’étais la fatigue personnifiée. Alors, je sortais très peu. Exceptionnellement le week-end, et jamais la semaine. Cela vous paraîtra bête, mais c’est seulement il y a quelques semaines que j’ai découvert qu’il est humainement possible d’aller au spectacle le mardi soir et d’être quand même au boulot le mercredi matin. Cela ne me manquait pas, puisque je n’envisageais même pas que cela soit possible. Mais je ne vis pas seul. Et c’est aussi il y a quelques semaines seulement que j’ai réalisé que, pendant toutes ces années, j’avais imposé à ma compagne le rythme de mon hépatite à moi. Et que, elle aussi, a fini par prendre l’habitude de ne jamais sortir en semaine. Tout ça, pour dire quoi ? Que lorsque l’hépatite se retire, on découvre la fibrose sociale et affective qu’elle a provoquée. Et parfois, elle est très étendue. J’en ai fait, personnellement, une expérience très douloureuse. La semaine même où je suis revenu de l’hôpital avec mon diplôme de répondeur prolongé, ma fille de 17 ans a fait une méchante décompensation psychique. Permettez-moi de ne pas croire au hasard. Voilà une enfant qui était en souffrance depuis des années, qui n’en disait rien, peutêtre parce qu’elle voulait préserver son papa malade, et qui a brutalement tout lâché quand elle a su qu’il était guéri. Voilà, en quelque sorte, un dommage collatéral de l’hépatite ; il m’a fait réfléchir, et je vous invite à réfléchir à votre tour aux dommages collatéraux que votre hépatite peut causer autour de vous. En attendant, paradoxalement, cet accident m’a aidé à avancer dans ma propre guérison. Voilà les deux ou trois choses que je voulais vous dire. Alors, puisque la question m’a été posée sous cette forme, que faire de la guérison ? Je dirais, d’abord, accepter qu’il faille du temps pour se reconstruire. Ensuite, admettre que,après la pluie de l’hépatite, le beau temps de la vie sans hépatite n’est pas forcément aussi radieux qu’on l’avait espéré. D’une part, le statut de malade chronique est parfois une protection confortable, et cette protection disparaît. D’autre part, même sans hépatite chronique, la vie est un combat fatigant. C’est vrai que c’est un peu décevant de le découvrir. De le redécouvrir. Enfin, il faut réapprendre à se projeter dans l’avenir. Je crois que c’est une des choses les plus difficiles. Pendant des années, vous avez limité l’horizon de vos projets. Et puis, là, tout à coup, ça se débouche. Et vous vous trouvez tout bête, sans savoir quoi faire. Comme un oiseau dont on aurait ouvert la cage. Comme un prisonnier libéré qu’on relâche dans la rue. C’est une drôle de sensation, croyez-moi. A vous tous, mes amis hépatants, je souhaite de la ressentir un jour.
Thomas Laurenceau

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