vendredi 24 novembre 2017

le glissement

Tal Coat. Autoportrait
"Le glissement, c’est le moment où la personne lâche la vie. C’est une forme de résilience absolue et d’acceptation de la mort." 
Le terme de glissement est utilisé depuis 1967 pour désigner un changement qui, principalement chez des personnes très âgées, se caractérise par une détérioration globale des fonctions intellectuelles, un désintérêt pour toutes choses, un refus de se mouvoir et de s'alimenter. Le plus souvent cette pathologie est consécutive à une maladie ou un accident. Son pronostic est très péjoratif.

"Parmi les facteurs de risque, on trouve en tête la perte du conjoint ou la perte d’un proche, qui se conjugue à une baisse de l’estime de soi. Il existe aussi d’autres éléments déclencheurs comme l’annonce d’un diagnostic, la vente d’un bien immobilier précieux pour l’histoire familiale du patient ou encore une intervention chirurgicale dont les suites sont mal vécues."

"Pour identifier l’origine du problème et l’élément déclencheur, il faut s’intéresser à la biographie du patient. Prendre le temps de créer un lien de confiance, discuter avec sa famille, faire attention aux mots employés.../... c’est notamment le moment où les gros secrets de famille explosent. Des événements très lourds, éteints ou mis de côté pendant des années, refont surface alors que la chaudière de la maison tombe en panne."
Le syndrome de glissement s’installe souvent dans le passé, les secrets de famille, les décès ou les deuils douloureux.

Chez le jeune enfant, L’hospitalisme dit aussi «syndrome de la pouponnière», se manifeste par un syndrome de régression mentale, une dépression dite «anaclitique» (inhibition anxieuse, désintérêt pour l’extérieur, refus de s’alimenter etc.) et un ensemble de troubles physiques dus à une carence affective par privation de la mère. Si cette carence est totale et prolongée les troubles peuvent aboutir à des états de marasme irréversibles et à la mort.
Un syndrome semblable même est observé chez l'animal : celui de ces chiens, qui se laissent mourir lorsqu'ils sont abandonnés par leurs maîtres.

Dans ces situations, les régressions pathologiques, les processus d’autodestruction, les logiques psychiques primitives semblent œuvrer à une défense paradoxale qui consiste à se sauver de l’anéantissement par l’anéantissement.
On peut se demander alors si ce n'est pas quand des «besoins» de la psyché (narcissiques, libidinaux, pulsionnels)  d’une personne, âgée ou non, sont mis à mal de façon grave et durable qu’un cap rédhibitoire se franchit malgré des soins physiques appropriés et que, dès lors, plus rien ne fait rempart au «choix» de se laisser glisser, de «se donner la mort» ?

Cette hypothèse ouvre la question de la «relation de soins», relation psychique «d’échange/transfert» qui implique le rapport à l’Autre, et de ses incidences dans la rencontre soigné/ soignant(s). Effectivement, da
ns les institutions médicales, c’est souvent à de seules dimensions d’hygiène, de nécessités physiologiques, à des gestes machinaux et des paroles conventionnelles qui ne supposent aucun sujet, que sont ramenés des soins qui pallient ce qu’une personne ne peut accomplir seule. Tels sont les soins dits de «nursing» (laver, changer, nourrir etc.), bien peu valorisés. Ainsi, par exemple, si placer une sonde gastrique pour nourrir est un soin «valorisé» à l’hôpital comme geste médical, aider à manger une personne qui ne peut le faire seule est plutôt pensé comme une charge de travail indue.

Hospitalisme ou glissement, enfant ou adulte âgée ou non, c’est ici le psychique qui peut contrer les processus de néantisation. Encore faut-il que ce secours, qui se joue dans  la qualité de l’échange/transfert de la «relation de soins», intervienne avant l’inéluctable franchissement d’un seuil irréversible, qu’il réponde aux «besoins» de la psyché et puisse alors «réanimer» les voies pulsionnelles, libidinales, narcissiques par lesquelles un sujet peut revenir à l’envie de la vie, se «redonner» la vie. 


Dans le meilleur des cas, le "glissement" arrive sans événement traumatique, au moment où le sujet semble s'être résigné à la mort. Natacha Ledjam, psychologue clinicienne qui a travaillé dix ans en Ehpad, explique :"Il y a des gens qui, à un instant T, se disent que c’est leur moment. Qu’ils sont fatigués. Qu’ils ont fait ce qu’ils avaient à faire. Que ça n’a pas de sens pour eux de continuer à faire des activités, suivre des comportements normatifs soutenus par les institutions. Ils disent qu’ils ont fait leur temps, sans pour autant traverser une dépression." La lampe n’a plus d’huile,au bout du rouleau le vieillard se laisse aller paisiblement." 
Dans ce cas, qui parait le plus simple, le glissement est une forme d'anéantissement lucide et accepté qu'il nous faut respecter car "Qui sommes-nous pour vouloir absolument trouver des raisons de vivre à la place des autres ?"

2 commentaires:

  1. Merciiiiiii ! Dans mon cas ce n'est même plus un glissement, c'est « Holiday on ice ».

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  2. Quel panache ! Respects et dédicace.

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