mercredi 25 juin 2014

La pensee non positive

"Dans notre perception du virus de l'hépatite C, comme dans celle du cancer la maladie est un ennemi coriace et mortel contre lequel il faut mener une guerre totale. C'est le dragon, la bête que Saint Georges doit terrasser. D'ailleurs, cette idée est alimentée par les récits sur les «vainqueurs», comme Lance Armstrong, qui n’ont jamais baissé les bras et ont – précisément pour cette raison (comme on le présente souvent) – vaincu
leur cancer, ou encore des guerres hépatiques où la niake de l'hépatant finit par avoir raison du dragon après moult années de batailles interféronnées.

Certains s’opposent toutefois à cette «tyrannie» de la pensée positive. En 2004, l’oncologue américaine
Penelope Schofield a publié une étude démontrant ’absence de lien de cause à effet entre l’optimisme des patients atteints d’un cancer des poumons pendant leur traitement et leurs chances de survie. «Nous devons nous demander très sérieusement s’il est encore admissible de promouvoir une attitude optimiste qui équivaut à imposer au patient une croyance aveugle en des chances de survie accrues. Si un patient a un regard pessimiste sur la vie – et sa maladie – , nous devons accepter ses sentiments et même les reconnaître».


"Si un patient se force à adopter une pensée positive, il risque de refouler d’autres émotions. Une personne qui enfouit son chagrin et se force continuellement à mordre sur sa chique pour donner une image positive, reste confrontée à ses craintes, ses angoisses. Chaque personne a sa propre manière de gérer ses émotions. Le plus important est de les exprimer pour atteindre une certaine sérénité. Par ailleurs, on sait que les personnes qui répriment leurs émotions ont plus souvent des plaintes psychosomatiques que celles qui les expriment.»

Ainsi Je ne n'ai jamais compris les félicitations que j'ai pu recevoir pour ma guérison car je n'ai rien fait d'extraordinaire pour cela. J'ai eu de la chance, tant mieux, mais je n'ose guère en tirer fierté. Je pense à ceux pour qui les choses se passent moins facilement. Le traitement ne les a pas épargnés non plus et autant que moi ils font leur possible pour s'en sortir. En matière de santé et de guérison le patient ne controle pas grand chose. Ainsi le terme de 'combat' mené contre une maladie m'a toujours paru bien ambigu. En effet, qui dit combat dit vaincu et le vainqueur est celui qui s'est le mieux battu. Dans le contexte d'une maladie cette approche risque de culpabiliser injustement le patient qui n'a pas eu la chance de guérir. Bref je me sens très humble face à la maladie et très heureux aussi d'avoir viré ma 'crevette'.

De la même façon, La réflexion la moins apte à calmer une personne anxieuse est de lui dire de se calmer. En réalité, cela peut même faire empirer la situation. D'après Todd Farchione, une recherche démontrerait qu'essayer de se calmer en plein milieu d'une crise d'anxiété peut en fait augmenter la réaction émotionnelle originelle sur le moment. Au final, en tentant de ne pas avoir peur, la personne concernée peut être sujette à une réaction plus intense à ce qui l'effraie.
Plutôt que d'encourager une personne atteinte d'anxiété à se calmer, Todd Farchione suggère d'offrir son soutien pour montrer que l'on comprend ce que la personne traverse. “Dire à quelqu'un de ‘se calmer’ est la pire des idées -- surtout parce que ça ne lui donne aucune solution pour y parvenir”, indique-t-il. “Si elles pouvaient se calmer, elles le feraient -- c'est là une vision bien trop simpliste des émotions. Une meilleure stratégie serait de poser des questions comme: ‘Qu'est-ce qui te fait réagir ainsi?’ En le formulant et en y pensant, de manière générale, elles peuvent y faire face avec plus d'efficacité.”
Pour aider une victime à surmonter ce qui la terrifie, de nombreuses personnes tentent d'éviter les déclencheurs de cette anxiété. Néanmoins, cette empathie peut aussi renforcer les mécanismes de peur. Les proches peuvent se montrer sensibles à la peur de la personne concernée, en faisant en sorte par exemple de débarrasser leur maison de tout microbe ou en évitant les situations effrayantes pour ne pas provoquer d'anxiété. “Ça n'est d'aucune aide -- en réalité ça alimente la peur,” explique Todd Farchione. “[Par cette attitude], on montre que la peur est valide et rationnelle, ce qui peut aussi être problématique.”

http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/15022297
http://www.huffingtonpost.fr/2014/05/06/8-choses-que-seules-les-personnes-sujettes-a-lanxiete-comprennent_n_5266967.html

Gag pour finir avec SOS déprime de Michel Muller.

vendredi 20 juin 2014

Mantaku, empreintes de vulve

Au Japon, quand un pêcheur a attrapé un gros poisson, il essaye de garder une trace de son exploit sous la forme d'un 'gyotaku' (empreinte de poisson). L'équivalent amoureux du 'gyotaku' se dit 'mantaku' ("empreinte de vulve") ou 'shintaku' ("empreinte de pénis"). Pour garder la trace des femmes qu'ils sont fiers d'avoir possédées, certains hommes enduisent donc son entrejambe d'encre et pressent une feuille de papier qu'ils emportent en souvenir. 

La mode des 'mantaku' apparaît dans les années 70-80 : alors que la censure fait rage et que les parties génitales  -noircies, mosaïquées ou floutées - disparaissent des magazines pornographiques, certains éditeurs japonais ont l'idée ingénieuse de publier des 'mantaku' pour contourner l'interdit. A côté des photos caviardées de femmes nues, ils publient ce que les lecteurs n'ont pas le droit de voir.
Dans le milieu de la prostitution, le 'mantaku' fait toujours partie des services en option : moyennant un petit supplément, certaines femmes acceptent de laisser leur empreinte à la postérité. 
"Beaucoup de femmes acceptent parce qu’elles veulent garder la mémoire de leur jeunesse. Un sexe vieillit très vite. C'est comme un visage. Il se ride, il change au contact des hommes et il prend des plis qui témoignent de sa vie amoureuse.Au japon les jeunes achètent plutôt les 'ona-holes' (simulacres de vagins) qui ressemblent à des sillons. Ils aiment quand c'est abstrait, vierge et mignon. Mais les hommes de 50 ans préfèrent les sexes aux lèvres charnues et tordus, aux grandes lèvres de taille inégale encadrant un orifice parfois défoncé..."
Sanae Takahashi spécialiste des moulages génitaux  et présidente de la société Love Merci qui réalise l'essentiel des 'ona-holes' réalistes en vente sur le marché.

Source: Agnès Giard, les objets du désir au Japon. 2009 Glénat.
Gyotakuhttp://emagicworkshop.blogspot.fr/2011/09/with-gyotaku-art-of-fishing-meets-art.html

Longtemps avant les japonais, les hommes du paléolithique ont été amateurs de 'mantakus'
http://www.hominides.com/html/art/art_parietal3.php
Les vulves s’observent pendant toute la durée du Paléolithique et sur un territoire immense (des vulves gravées sur des objets mobiliers sont connues jusqu’en Pologne). Ce sont des signes simples constitués par des triangles parfois plus ou moins arrondis dont un des angles porte une bissectrice. Il s’agit en fait de triangles pelviens mais l’usage est de les appeler des vulves (fig. 11). Cette figure est couramment considérée comme réaliste alors que la ligne bissectrice qui lui donne son sens en représentant la fente vulvaire n’est, en fait, pas visible sur la femme adulte debout. Le procédé relève de la perspective tordue. Les vulves peuvent être gravées, peintes ou tracées voire modelées dans l’argile.
11 - Vulve (Angles sur l'Anglin)
12 - Vulve (Abri Cellier)
13 - Vulve (Le Tuc d'Audoubert)
14 - Claviforme (Le Tuc d'Audoubert)
http://www.artmajeur.com/fr/art-gallery/empreintes-intimes/73913
http://www.bodyscape.fr/intime.htm

Unique ! Tout près de nous et en vente sur ce blog, le Mantaku shirt (produit dérivé by Ozias). Dispo sur commande auprès de emagicworkshop. Les deux mantakus de cette page sont imprimés en rouge sur un Tshirt noir. La vulve est placée sur le coeur, l'anus au dos, en haut. Prix 50€, délai 10 jours.


dimanche 15 juin 2014

Guérir ! (suite et fin)

Rembrandt. Résurrection de Lazare.
Suite et fin de l'article très juste et très intéressant par Maia Marta  anthropologue :  « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir »
'L’hépatite C possède une particularité : c’est la seule maladie chronique guérissable. Qu’arrive-t-il alors à ceux qui terminent le traitement et éradiquent le virus, c’est-à-dire les guéris ou les séroconvertis  ? 
La guérison est perçue comme une situation difficile par les malades interrogés, parce qu’il s’agit d’une (autre) rupture biographique. Le malade vit des années durant d’une certaine manière – l’abstinence face à l’alcool, les visites régulières chez le médecin, les examens, la conscience de la présence du virus etc. – et soudain, un changement apparaît qui est ressenti comme radical. La rencontre avec la maladie implique une remise en cause personnelle. Pendant la maladie, s’est opéré tout un travail de réflexion sur soi que provoque le passage par le soin. Le patient s’efforce de réduire le cercle de ceux qui savent, dans le souhait de contrôler son environnement alors qu’il y a une perte de la maîtrise de l’image de soi. 
Après la guérison, il y a une rupture avec la vie d’avant, dans un sursaut de vitalité. Ce changement entraîne une perturbation identitaire que l’individu va essayer de résoudre. La personne infectée par le VHC qui fait un traitement et parvient à éradiquer le virus passe donc par deux changements, qui ont des implications au niveau identitaire : il prend conscience de son état de malade, avec le traitement et les effets secondaires qu’il entraîne, et cesse ensuite d’être malade, avec la guérison, après le traitement. 
Ainsi, l’une des personnes interviewées, pour qui le traitement a représenté un premier changement dans son quotidien, l’entrée dans un processus de soins et une modification de la perception qu’il avait de soi, a initié une psychothérapie non pas pendant le traitement, comme le lui avait conseillé son médecin, mais après, quand il a enfin été guéri. D’autres changements sont intervenus à ce moment précis, notamment un déménagement et une modification du régime alimentaire. La guérison représente un second changement. L’individu se sent «  quelqu’un d’autre  ».
Interview
« Comment tu t’es senti le traitement terminé ?
Et bah, ça, justement, ça, c’est un truc qui est un peu bizarre, figure-toi, parce que pendant tout mon traitement, je me suis sentie un petit peu comme de… Si tu veux, j’étais pas bien, j’étais malade, mais, en même temps, j’étais très soutenue, tu vois, psychologiquement, j’avais un psychiatre qui me suivait, j’avais des entretiens avec une psychologue, donc, il y avait mon gastro qui me suivait beaucoup, même ma généraliste, elle était vachement à l’écoute et tout ça, et donc, à la fin du traitement, tout d’un coup, tu…Bon, en plus, il y avait le site hepatites.net qui m’a vraiment…je veux dire, j’étais tout le temps là-dessus… ça m’a vraiment beaucoup aidé aussi, et tout d’un coup, bah, c’est comme si t’as…Tout s’arrête d’un seul coup ! Le traitement s’arrête, donc, comme si t’es sensée ne plus avoir besoin d’aide et que tout est…T’es complètement dépossédée de ta vie, quoi, si tu veux…Ta vie, elle est plus…C’est un petit peu comme quand on arrête la dope, je veux dire…Quand on est alcoolique, tu vois, un truc comme ça. Parce qu’en fait, tout esprit, il est rempli de ce qui t’arrive, soit de l’alcool ou de la dope ou, donc, de l’hépatite. Je ne pensais qu’à ça, tu vois, j’étais là pour me soigner et je ne pensais qu’à ça. Et donc, tout d’un coup, t’es sensée te sentir bien parce que, parce que c’est fini, mais t’as plus de quoi remplir ta vie…Ça m’a choquée, ce truc-là, c’était très bizarre.
Une sorte de vide ? 
Voilà, une sorte de vide.  » (Agnès)

La phase du traitement est vécue comme un moment ambigu, qui déstabilise la personne, son quotidien, l’image de soi, les relations avec les autres, la perception qu’elle a des autres, mais qui, en même temps, incarne l’espoir d’une guérison et donc d’une meilleure qualité de vie et d’une espérance de vie plus longue. C’est aussi une période où la personne est «  plongée dans la maladie  ». Or, au moment où il sort de cette « parenthèse  », l’individu a besoin de recomposer son identité en tant que non-malade et parfois aussi en tant qu’être qui travaille, a des relations sociales, une vie sexuelle, etc. Il doit, par ailleurs, intégrer à la représentation de soi son expérience de la maladie. Quand il « sort de la maladie », l’individu peut ressentir un « vide ». Parce qu’il a « perdu » le virus, il perd aussi les liens sociaux liés à l’état de malade, notamment ceux représentés par le médecin, le psychologue et les malades des groupes de parole, le sentiment d’être pris en charge et, par conséquent, son identité de malade. Le quotidien n’est plus rythmé par la maladie et l’individu doit s’adapter à ce nouvel état et à son nouveau statut, celui de guéri. 
Le malade, après avoir renversé l’échelle de valeurs qui met la maladie du côté du malheur et avoir réussi à percevoir la maladie comme « quelque chose qui a du bon », à la « positiver », voire après en avoir fait une raison d’exister, qui définit son quotidien et lui-même, se voit à nouveau confronté à un besoin de redéfinition de soi.

Autre post sur le même sujet http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/07/guerison.html

Biographie
Marta Maia est née en France en 1972. Elle a obtenu sa licence d’anthropologie sociale à l’Institut des scinces sociales de l’Université de Lisbonne (ISC-UL) en 1996. Elle a soutenu sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en 2002. Par la suite, elle aconduit des reccherches post-doctorales à l’ISC-UL sur la base d’une bourse de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia (Fondation pour la science et la technologie). Depuis 2005, elle poursuit ses recherches post-doctorales au Laboratoire d’ Anthropologie Sociale du Collège de France (Paris) sur la base d’une bourse de la Foundation Calouste Gulbenkian. Ses recherches ont notamment porté sur : la jeunesse, la sexualité, les comportements sexuels à risque, la santé et la maladie.

mercredi 11 juin 2014

Identité hépatante


Suite de l'article très juste et intéressant par Maia Marta  anthropologue :  « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir »


L'identité hépatante

'Se découvrir atteint d’une maladie chronique représente souvent un traumatisme. Malgré tout, plus ou moins facilement et plus ou moins complètement, le malade accepte cette nouvelle condition, voire la transforme en une identité positive. Il apprend à se connaître, acquiert des savoirs, est responsable de son traitement et contrôle partiellement son état, il est actif et se sent « acteur » de sa maladie.

Des groupes de parole se forment autour de l’hépatite C, comme c’est le cas des forums de discussion sur Internet. Pour certains, le dialogue avec des personnes qui partagent l’expérience d’une même maladie peut être très bénéfique, permettant de lutter contre l’isolement et l’auto-stigmatisation et de ‘pacifier’ le rapport à la maladie. Néanmoins, comme le souligne Martine Bungener à propos de l’épidémie du VIH, les individus ne possèdent pas tous les mêmes capacités à mobiliser un réseau d’entraide. Les personnes socialement vulnérables sont à la fois les plus touchées par l’épidémie et les moins à même de lui faire face. Elles n’ont pas la même capacité que les personnes socialement aisées, pour chercher des informations, du soutien psychologique et/ou associatif. De plus, malgré les aides sociales, la maladie est génératrice d’appauvrissement et l’accès au monde du travail des personnes atteintes reste problématique.
Les hépatants parlent des membres qui ont déjà vécu l’expérience (souvent pénible) du traitement comme des « initiés ». On remarque dans les discours une valorisation de ceux qui ont déjà mené à terme plusieurs traitements. C’est une manière de s’encourager qui est tournée en revalorisation de soi en tant que malade. Parfois, le nombre de traitements réalisés s’exhibe comme autant de médailles et les médaillés ont droit à moult compliments. Cette expérience difficile qu’est le traitement est transformée en instrument de valorisation de soi. Selon les modèles d’interprétation de la maladie énoncés par François Laplantine, nous pouvons voir là un renversement du modèle d’interprétation de la maladie : de maléfique, elle devient bénéfique, car elle permet, outre l’introspection citée plus haut, l’exploit. Le traitement, qui est le plus souvent pénible, est alors vécu comme une maladie guérison. J’ai ainsi pu observer, chez les personnes interviewées, des passages d’un modèle étiologique, selon l’analyse de Laplantine, à un autre, en fonction du parcours biographique du malade : « maladie blessure » lors de l’annonce du diagnostic, « maladie gratification » lorsqu’elle apporte des bénéfices secondaires au patient, « maladie guérison » pendant le traitement, maladie exploit lorsque le traitement est mené à terme et le patient « réussit une séroconversion ».

Le sentiment d’être malade (et d’être un malade) apparaît fréquemment avec le premier traitement car la maladie peut passer inaperçue, sans symptômes très visibles, pendant plusieurs années. Le traitement, c’est-à-dire le fait de prendre des médicaments, d’une part, et de souffrir physiquement et/ou psychologiquement, d’autre part (en raison des effets indésirables des médicaments), rend la maladie tangible. Le besoin de contacter avec d’autres malades est dû aussi au sentiment d’être incompris par les autres, les non-malades. Il y a donc un sentiment d’appartenance à un groupe qui partage une expérience commune, l’impression que les autres « ne savent pas » et « ne peuvent pas comprendre » ce que cela représente et un désir de communiquer avec les membres de ce groupe, les hépatants. Cette communication passe par Internet mais aussi par des rencontres organisées à partir des forums de discussion et par les réseaux associatifs.


Maia Marta, « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir », dans revue ¿ Interrogations ?, N°6. La santé au prisme des sciences humaines et sociales, juin 2008 [en ligne],http://www.revue-interrogations.org/Les-hepatants-Vivre-avec-une,266 (Consulté le 11 juin 2014).

Biographie
Marta Maia est née en France en 1972. Elle a obtenu sa licence d’anthropologie sociale à l’Institut des scinces sociales de l’Université de Lisbonne (ISC-UL) en 1996. Elle a soutenu sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en 2002. Par la suite, elle aconduit des reccherches post-doctorales à l’ISC-UL sur la base d’une bourse de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia (Fondation pour la science et la technologie). Depuis 2005, elle poursuit ses recherches post-doctorales au Laboratoire d’ Anthropologie Sociale du Collège de France (Paris) sur la base d’une bourse de la Foundation Calouste Gulbenkian. Ses recherches ont notamment porté sur : la jeunesse, la sexualité, les comportements sexuels à risque, la santé et la maladie.

Hépatants

Extrait d'un article très juste et intéressant par Maia Marta  anthropologue :  « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir »


Expérience de la maladie.

'Ronald sentait bien que les gens
l'évitaient à cause de son hépatite'
'Dans les représentations sociales, la bonne santé s’identifie à la norme, alors qu’être malade est un état considéré anormal. La maladie constitue une sorte de ‘déviance sociale’, car le malade peut échapper aux tâches, aux responsabilités, aux contraintes qui pèsent quotidiennement sur les bien-portant. La notion de santé se mêle à celle de performance et de recherche d’excellence, dans cette société qui prône la performance, l’adaptation sous toutes ses formes et la santé comme valeur centrale. La maladie devient, dans ce contexte, désordre et faute et soulève des problèmes d’identité. Elle représente un malaise car elle est empreinte de stigmatisation.

Les maladies chroniques ne s’accompagnent pas toujours de symptômes directement visibles. Mais, en dépit de son manque de visibilité, sa survenue constitue souvent une rupture biographique qui implique des changements dans le mode de vie de l’individu devenu malade. Le malade doit parfois ajuster son mode de vie á la maladie, tout d’abord parce qu’il est astreint à des soins permanents. Se savoir malade peut aussi provoquer un changement dans la perception que la personne.

La stigmatisation de la maladie est déterminante pour la qualité de vie des personnes concernées. Certaines maladies chroniques, handicaps ou affections, disqualifient socialement les personnes qui en sont atteintes. Selon Goffman, dissimuler la maladie constitue la principale stratégie de gestion du stigmate. Mais cela devient difficile lorsque la personne n’a pas seulement des traits « discréditables » – ceux qui ceux qui ne sont pas immédiatement visibles par l’entourage et ne sont donc que potentiellement stigmatisables – mais aussi des traits « discrédités » – ceux immédiatement visibles qui produisent ou peuvent produire une réaction négative de la part de l’entourage. En effet, j’ai pu constater que, dans le cas des personnes sous traitement de l’hépatite C, les effets secondaires des médicaments peuvent être responsables de la survenue de ces traits « discrédités », augmentant la visibilité de l’affection, le sentiment d’être malade et, par conséquent, celui d’incapacité. Cela peut décourager certains patients de s’engager dans le traitement. La stigmatisation des hépatants pouvant nuire à leur qualité de vie, ils font parfois le choix de ne pas révéler leur état de santé aux autres, même si cela peut se traduire par un obstacle à l’aide sociale et entraîner l’isolement, qui est un facteur aggravant pour l’état de santé.

L’incompréhension de l’entourage est aussi fréquemment mentionnée par les personnes interrogées. Elle tient surtout à son incapacité à prendre totalement conscience de la souffrance du malade au quotidien et sur le long terme, sa lassitude, la difficulté à soutenir un malade sur une longue durée et son sentiment d’incapacité à résoudre tous les problèmes que pose la maladie. Les malades ont alors le sentiment que seuls d’autres malades sont à même de les comprendre. C’est ce qui les amène à chercher des associations de malades et des forums de discussion sur Internet autour de la maladie qui les affecte.
L’appartenance à un groupe de malades ou à une association est une originalité de l’auto-soignant que devient le malade chronique. Le malade souhaite rompre l’isolement et cherche une similitude d’expériences, inconnues des autres (les bien-portants), qui engendre sympathie et compréhension entre malades qui vivent une expérience commune. En France, ces groupes tendent à se répandre.
L’interrogation sur l’origine de la maladie n’est jamais entièrement satisfaite par les réponses de la médecine. Le malade s’interroge sur le sens de sa maladie. Il a besoin de relier sa maladie à son environnement et à sa vie. Le malade se tourne alors vers les autres malades pour comprendre ce qui lui arrive. La maladie peut ainsi devenir l’occasion d’une introspection.
En Occident, la maladie signifie infériorité, diminution, humiliation. Elle est « maléfique ». La souffrance du malade vient aussi de là. Il doit gérer la maladie, mais aussi gérer sa signification sociale. L’impact qu’a la maladie sur l’individu dépend de la signification qu’il lui attribue, dans le contexte social particulier qui est le sien.
Le mode de contamination, événement de son histoire personnelle, peut modeler la vision que l’individu a de sa maladie. Ainsi, certains malades contaminés par le VHC par transfusion sanguine mettent l’accent sur une identité de victimes qui les distinguerait des malades infectés à l’occasion d’usage de drogues, comme j’ai pu l’observer lors des Forums SOS Hépatites et comme cela m’a été décrit par des membres d’associations de malades.'

Maia Marta, « Les hépatants. Vivre avec une hépatite virale chronique et en guérir », dans revue ¿ Interrogations ?, N°6. La santé au prisme des sciences humaines et sociales, juin 2008 [en ligne],http://www.revue-interrogations.org/Les-hepatants-Vivre-avec-une,266 (Consulté le 11 juin 2014).

Biographie
Marta Maia est née en France en 1972. Elle a obtenu sa licence d’anthropologie sociale à l’Institut des scinces sociales de l’Université de Lisbonne (ISC-UL) en 1996. Elle a soutenu sa thèse en anthropologie sociale et ethnologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) en 2002. Par la suite, elle aconduit des reccherches post-doctorales à l’ISC-UL sur la base d’une bourse de la Fundação para a Ciência e a Tecnologia (Fondation pour la science et la technologie). Depuis 2005, elle poursuit ses recherches post-doctorales au Laboratoire d’ Anthropologie Sociale du Collège de France (Paris) sur la base d’une bourse de la Foundation Calouste Gulbenkian. Ses recherches ont notamment porté sur : la jeunesse, la sexualité, les comportements sexuels à risque, la santé et la maladie.

vendredi 6 juin 2014

le cadavre et la viande

'Sauf à être végétariens, nous mangeons tous du cadavre. L'acte de s'alimenter est devenu suffisamment civilisé pour que 'rien ne rappelle le cadavre dans le produit consommé'.  Dès lors que l'on part du principe que cette condition n'est point naturelle, se pose la question du tolérable et de l'intolérable en matière de nécrophagie. Aujourd'hui la distance est maximale entre nous et le cadavre, mais aussi entre le cadavre et la viande. Reste à voir par quels liens une continuité entre viande et cadavre reste perceptible.


Santé, sacré et gastronomie

Que disent les producteurs de normes au sujet de la place de la viande dans l'alimentation et sa relation avec le cadavre ? 
Les religions monothéistes posent de nombreux interdits alimentaires dont nous retiendrons les deux principaux :  L'anthropophagie "tu ne mangeras point ton prochain" et l'interdiction de consommer de la viande qui n'a pas été saignée et par extension "aucune bête crevée" (dont le sang n'a pas été versé).
Le second "grand" discours est celui tenu par la médecine. Pour la diététique classique, la viande est est l'aliment le plus "restaurateur". Celui qui permet le mieux de fabriquer du pareil, c'est à dire le corps du mangeur. On différencie dans la diététique classique les chairs terrestres pesantes des chairs des volatiles, plus digestes ou du poisson considéré comme la viande la plus digeste- et la moins sanguine-. Cette gradation renvoie non seulement au sang, mais à la couleur de la viande plus ou moins foncée , du blanc au noir (le gibier) en passant par le rouge. La diététique classique rejette tout ce qui, dans la cuisine ou l'alimentation,  pourrait déclencher ou hâter la corruption des chairs ou des humeurs. Elle cherche à protéger le corps de la contagion putride dont sont susceptibles les aliments. 

Sensibilités, sens et dégoûts en cuisine

Tripes Gregory Jacobsen
Avec la modernité ce n'est pas tant le corps mort qui devient intolérable, c'est la putréfaction qui heurte les sensibilités et met en péril la santé publique par ses émanations miasmatiques.  Ainsi au XVIIIème siècle le rejet croissant des odeurs méphitiques et mortifères l'espace public s'exprime dans ces mots de Pietro Verri : " Les chairs lourdes ou visqueuses, l'ail, les oignons, les drogues fortes, les mets salés, les truffes, et autres poisons de la nature humaine ../.. Aucun aliment sentant fortement n'est admis à notre table et toute herbe est proscrite, qui en pourrissant dégagerait une mauvaise odeur; c'est pourquoi les fromages, et les choux de toute espèce en sont proscrits".
Une autre façon de voir les choses est de s’intéresser aux parties, aux morceaux qui évoquent le cadavre. C'est le cas des tripes, des viscères et des abats . ces bas morceaux deviennent dès le XVIIIème siècle la viande du pauvre. La tripe se réfugie dans la cuisine populaire, le mou devient une nourriture animale et seuls subsistent sur les tables distinguées les ris. De plus en plus on désire des morceaux sans référence brutale au vivant.  Mais la tripe, rappelle t'elle le mort, ou le vivant ?

Le faisandé, distinction ou perversion ?

Gibier. Thomàs Yepes.
Avec le faisandé le cadavre entre ouvertement, triomphalement, dans l'art culinaire. La charogne devient délice. Si la prudence diététique est recommandée, si la consommation de faisandé est réservée aux fortes natures en vertu des vieilles peurs humorales, deux qualités en justifient la pratique  ; l'attendrissement des chairs et l'élaboration du goût. L'amateur de faisandé ne se recrute d'évidence pas parmi les "personnes délicates" mais dans une sphère robuste et virile -celle de la chasse et de la conquêt- ce qui n'exclue pas le raffinement de la table et du goût. La limite est ténue entre raffinement et perversion; le fromage , qui n'a rien d'aristocratique, n'est pas jugé avec plus d'indulgence que la viande quand il est "avancé.
Tantôt associé à une nourriture déclassée, donc prolétaire, tantôt à un plat de gourmet, le putréfié rassemble toutes les ambiguïtés et les questions encore sans réponses des rapports entre le cadavre et l'art culinaire.

D'après "La mort à l'oeuvre"  Anne Carol, 'De l'art d'accommoder les restes'.