mardi 31 décembre 2013

Facebook

Il n' y'a pas tant de monde que ça sur Facebook,

Il n' y a que plusieurs individus déjà murés

Qui s' emportent 

Et ne sont ouverts... qu' enfermés.

@faC. (Fred Charlet)

Facebook
 'Nous' sommes tous connectés. 
"Bip ! ", "Wizz !", "Ting !" : famille, amis, amours, collègues, tous nous sollicitent, incitent, excitent au travers des mails, des SMS, des réseaux sociaux. Ces nouveaux moyens de communication ne sont pas neutres. Non seulement ils sont devenus addictifs, incontournables, mais ils modifient aussi nos rapports, et nos relations. Personne ne nous oblige à acheter ou à allumer ces outils, mais celui qui coupe, son smartphone son ordinateur ou sa tablette devient invisible.
Le 'réseau social' de Facebook est construit sur un modèle, un dogme libéral avancé. Selon Mark Zuckerberg lui même, Facebook "change la norme sociale".  En fait,  Facebook transforme  nos relations en devenant une place de  marché, la bourse de nos relations.  Tout est tracé compté, tout se compte en accès, clics, likes, et  followers. Avec Facebook, et les TICs (Technologies de l'Information et de la Communication) chacun aujourd'hui se transforme en un petit 'centre de profit' personnel. Ainsi nos amis deviennent des 'fournisseurs relationnels' : cet ami m'a déçu ? Pas grave, j'en ai deux cents autres sur mon profil facebook. J'ai promis à un ami de venir à sa soirée, mais en fait j'ai un autre plan ?  pas grave, je lui envoie un SMS d'annulation pour 'contrainte de dernière minute'.


Narcissisme
Facebook, c'est Narcisse 2.0. 
'Tranquille avec son miroir tel le schtroumpf coquet à rajuster sa fleur sur le bonnet, Narcisse était autonome. peinard, il avait sa source d'eau claire où il s'admirait jusqu'à tomber amoureux de son image puis dépérissait d'amour de lui même pour laisser place à une fleur, un narcisse. 
Depuis Facebook, l'eau claire de Narcisse 2.0, c'est les autres.
Qui m'aime me suive!  Notre quotidien, nos images, nos humeurs, doivent être validés par nos amis'. Je m'expose, je pose 'm'extime' , tu me follow ils me likent.


Cauchemar
Parfois je cauchemarde du temps prochain où nos relations numérisées seront prises en charge par un Algorithme 'évolué' de Facebook (ou de ses concurrents). Dans le souci de capter toujours mieux 'le flux' de ses clients-utilisateurs, ce logiciel se muera en un répondeur intelligent une 'cyber-answering machine' autonome, universelle mais conformiste jusque dans l'excentricité. 
Le réseau social deviendra pourvoyeur d' "Amis" partageant nos centres d'intérêt, un générateur de témoignages d'amitié, infos, de sites ciblés, de commentaires pertinents. Facebook peut tout , fait tout pour cerner nos profils, nos goûts, nos intentions d'achats et attirer nos clics. Achats en ligne, police de la pensée, anticipation du crime, éradication de la solitude et lutte antiterroriste tout à la fois. Alors que nos outils (GPS, CB, PC ...) nous surveillent, Facebook nous voit. Facebook sait, satisfait, et fait tout pour nous capter le plus possible. Nous voilà tous penchés sur nos écrans, à la recherche de nous même, ou plutôt à la recherche de nos mêmes. Fini alors le temps des commentaires incompréhensibles, ou hors sujet, et nos querelles de clics et de claques. Facebook sera là pour mettre le web en parfaite et infinie intelligence avec nous même, dans un vide sidéral, et pour l'éternité du monde. Dans ce meilleur des mondes dominé par une pensée globale: 'Big Brother takes care'.

Et pourtant.
Pourtant, Facebook m'a permis de rencontrer des artistes, des  personnalités vraies (pas des 'people') que je n'aurais pu connaître autrement et des amis avec qui je me sens de profondes affinités. Avec qui je peux m'exprimer et échanger plus facilement qu'avec mes proches, trop proches et coincés comme par un effet d'ascenceur - [ou effet porc-épics de Schopenhauer*]-  (vous savez, quand les portes de l'ascenceur se ferment, les conversations s'éteignent car les occupants sont trop proches les uns des autres). 
Je continue donc à plaisanter, commenter, poster, l' œil toujours guettant le petit globe rouge de vos notifications. 

Merci, et à l'année prochaine,

Ozias
Pour finir, on écoute une chanson,  'Accepte moi'  par Ringo 1974.

Crédits: "Facebook m'a tuer". Alexandre des Isnards. Thomas Zuber.

lundi 23 décembre 2013

Poèmes au foie.

Marcus. Brainless tales.
En ces temps de l'avent, ces temps de ripaille ou peut être d'excès, une pensée pour notre foie.  Une ode au foie, préparée par un maître en terme de poésie et aussi de bien vivre :
Pablo Neruda.

Ode au foie :

Ami modeste et organisé. Travailleur profond, permets que je te donne l'aile de mon chant. Le coup d'air, le bondissement de mon Ode. Elle naît de ton invisible machine et prend son vol dans ton infatigable et secret moulin, entraille délicate et puissante toujours vive et obscure. Tandis que le cœur sonne et s'arroge la partition de la mandoline, à l'intérieur toi tu filtres, distribues, sépares, divises, multiplies, graisses, fais monter et recueilles les filets et les grâces de la vie.

Pièce ultime, mystère sous marin et mesureur du sang tu vis plein de mains et d'yeux dans ta secrète chambre d'alchimiste, scaphandrier de la plus périlleuse profondeur de l'homme, toujours caché là. Sempiternel dans l'usine, silencieux. Et tout sentiment, ou  stimulus accru dans ta machinerie a reçu quelques gouttes de ton infatigable machination. A l'amour tu as ajouté le feu ou la mélancolie.
Qu'une petite cellule fasse erreur, qu'une fibre se gâche dans ton travail et l'aviateur se trompe de ciel, le ténor s'effondre en un sifflement, l'astronome perd une planète.

Comme ils brillent là-haut, les yeux sorciers de la rose, les lèvres de l’œillet matinal ! Comme elle rit dans la rivière, la demoiselle !
Et en bas, c'est le filtre et la balance, la délicate chimie du foie. La cave des changements subtils. Personne ne le voit ou le chante, mais dès qu'il vieillit, que son mortier s'use, adieu les yeux de la rose... L’œillet a vu flétrir sa denture et la demoiselle s'est tue sur la rivière.

 Austère partie ou tout de moi même, aïeul du cœur, moulin d'énergie, je te chante et te crains comme si tu étais juge maître étalon. Implacable fléau de la balance. Et si je ne puis me livrer pieds et poings liés à ta pureté, si l'excessive ripaille et le vin héréditaire de ma patrie ont œuvré à perturber ma santé ou l'équilibre de ma poésie, c'est de toi mon arc obscur que j'attends justice.
J'aime la vie. Sois fidèle. Travaille !
N'arrête pas mon chant.


P.Neruda.

pABLO nERUDA. Odes élémentaires. Traduction: depuis " l'Or et la Patate".

Mis en musique en 2010, par l'Or et la Patate:
https://myspace.com/loretlapatate/music/song/ode-au-foie-68513171-75254522

En supplément, pour ceux qui en redemandent, quelques mots de Pablo Neruda encore, et toujours à propos du foie, celui qui se mange, le foie gras.
Bon appétit et joyeuses fêtes.

Ozias

Ô Foie Gras

"Ô toi, foie d’ange, ton doux parfum est une harpe sur nos palais, ton harmonie joue des cymbales sur nos langues, et nous traverse tout entier d’un long frisson de volupté”.

vendredi 20 décembre 2013

L'amour, pour ou tout contre ?

L'amour, la passion, le désir sont pour moi les moteurs de la vie et ce que j'ai vécu de plus de plus fort, de plus humain et de plus beau. Petit retour sur images en six temps.

1. Coup de foudre
Le coup de foudre, cette "surprise de l'Amour" est elle le produit des romans à l'eau de rose ou peut elle changer notre destin ? Tout se joue ici au niveau des regards. Languide, racoleur ou calculateur, nous savons distinguer ce que signifie un regard, mais nous ne savons pas vraiment comment nous le savons. 


Sven Richard Berg. Soir d'été nordique (1900)

Bien que les bras de l'homme soient croisés d'une manière défensive sur sa poitrine, les deux personnages tournent leurs corps l'un vers l'autre.
Lui avance le pied vers elle, elle a un mouvement de hanche dans sa direction. Ils refusent de se regarder mais ils ne voient pas d'avantage le soleil couchant vers lequel ils ont tourné la tête. C'est leur posture qui traduit leurs véritables sentiments et le  coucher de soleil nordique est une puissante invitation des sens.




Fra Filippo Lippi. XVème siècle.

Amour, regard, scandale et peinture.
Cette image de la transgression amoureuse nous montre un échange de regards qui trahit un amour défendu en un temps et une situation où cette conduite crée le scandale. 

Fra Filippo Lippi est un moine et peintre de la renaissance. 
En 1458, âgé de 50 ans, Fra Filippo Lippi peint pour la chapelle du couvent de Sainte Marguerite du Prato près de Florence. Pour réaliser un portrait de la vierge, ou de sainte Marguerite, il fait poser une jeune carmélite 
 Lucrezia Buti (20 ans). Il la séduit, puis l' enlève peu après avoir découvert qu'elle était enceinte de lui. 
Les deux amants finirent par obtenir l'autorisation de se marier . Ils eurent deux enfants. 
Leur fils, Filippino Lippi deviendra un peintre non moins célèbre que son père.





2. Flirt.
L'étalage public de la passion est très souvent considéré comme indécent, contraire aux bienséances et choquant pour ceux qui en sont témoin bien malgré eux. Loin des regards indiscrets, l'enlacement passionné s'achemine pas à pas depuis les préliminaires jusque à l'acte proprement dit. 
Dans les années cinquante, les magazines étaient pleins de conseils sur le "jusqu'où ne pas aller trop loin". Conseils dispensés dans le cadre de ce que les anglo-saxons nomment le "petting" c'est à dire toute activité sexuelle allant au delà du baiser et s'arrêtant avant la pénétration. Sous ses formes poussées ("heavy petting") on expliquait aux adolescentes que l'homme pouvait toutefois perdre tout contrôle de soi.

Théodore Géricault. Couple s'embrassant et femme allongée. XIXème siècle.
Hans von Aachen. Couple au miroir.

3. Nudité 
Enfin, le moment est venu de faire tomber le dernier voile. L'effeuillage une fois achevé, reste le nu. L'érotique et le sexe ayant toujours été au centre des préoccupations des hommes, il est naturel que le nu soit l'un des thèmes les plus répandus du monde de l'art. Mais si la nudité absolue était la norme courante, combien serait elle ennuyeuse !

"Je lui conseillai de se coucher, ce qu'elle accepta : je lui servis de femme de chambre : elle n'avait point fait de toilette et bientôt ses cheveux épars tombèrent sur ses épaules et sur sa gorge entièrement découvertes. Je l'embrassai : elle se laissa aller dans mes bras, et ses larmes recommencèrent à couler sans effort. Dieu ! qu'elle était belle! Ah ! si Magdeleine était ainsi, elle dut être bien plus dangereuse pénitente que pécheresse.

Les liaisons dangereuses. Pierre Choderlos de Laclos.

François Boucher. Odalisque brune. 1745.
4. Préliminaires
De tabous indécents qu'ils étaient, les préliminaires amoureux sont devenus partie intégrante et souhaitable des rapports sexuels. A la fin de la deuxième guerre les études scientifiques sur la sexualité fleurirent. Les colonnes "vie pratique" des magazines soulignaient à qui mieux mieux l'importance des préliminaires amoureux et toutes sortes de guides décrivaient sans rire comment s'y prendre. Une sexualité scientifique et chaste en contraste absolu avec les attitudes que révèlent la littérature et les arts orientaux. Malgré les recherches sur les zones érogènes et la découverte du Viagra, la majeure partie de ce que nous savons sur l'excitation sexuelle était déjà connu depuis des siècles. 
Zichy. Couple engagé dans les préliminaires. 1901.


Fuseli. Gunther et Brunhilde (1907)
Martha Bayer Erlebacher. Embrasement.







5. Coït.
Pendant la renaissance, les mythes antiques ou les récits bibliques permettaient d'établir une distance entre les scènes représentées et l'expérience quotidienne, ce qui prêtait à l'oeuvre une séduction plus intellectuelle que sensuelle. Jupiter et Olympe fournissait des motifs très utiles dans ce contexte. quand à Léda et le cygne, il permettait même de devenir assez explicite. Au XVIIIème siècle, on mit au point tout un dispositif élaboré qui permettait à l'observateur averti de comprendre sans peine la signification d'objets en apparence innocents : un étui à violon pour signifier la vulve , ou un panier renversé pour indiquer la perte de virginité. Dans les dessins ou en peinture et en particulier dans la photographie, le détail explicite est considéré soit comme frôlant la pornographie, soit comme relevant du manuel des pratiques sexuelles.
Léda et le cygne. François Boucher. 1740.
Zichy. Bons souvenirs.

6. Postlude.
A l'issue de cet étrange acte physique par lequel le désir se satisfait, rien n'est plus comme avant. Le tableau de William Hogarth intitulé 'After' illustre bien ces bouleversements émotionnels et les changements dans les relations qui se produisent en si peu de temps. 

L'aventure débouchera t'elle sur une romance, une tragédie, une farce ...?
A vos amours,

Ozias

William Hogarth. Before.

William Hogarth. After.
F. Scott Hess. 'Chère Katie' 1996.

Domenic Cretara. Amants. 1996.
Crédits : LE SEXE. L'érotisme de Cranach à Koons. John Williams. Evergreen. 1999.



samedi 14 décembre 2013

Le goût des mots.

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes:
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombinent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d'ombre; E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lances des glaciers fiers, rois blancs, frissons d'ombelles;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrements divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d'animaux, paix des rides
Que l'alchimie imprime aux grands fronts studieux;

O, suprême Clairon plein des strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges:
- O l'Oméga, rayon violet de Ses Yeux ! -


A. Rimbaud


Françoise Héritier s'interroge sur la langue, le "goût des mots" et  le sens que chacun donne leur donne. Le sens caché des mots. Son propos est de montrer  que notre corps, notre histoire sont au centre du langage. 
Par exemple, Rhododendron évoque pour elle un dragon bouffi avec trop de pattes et pas assez de feu. Une sorte de bouledogue ventru et boudiné qui, du bout de sa laisse, menace mais ne mord pas.  Miracle, est un mot qui racle, et c'est un peu dur à avaler... etc.
Ainsi, chacun peut mettre derrière les mots quelque-chose qui lui est propre. Au cours d'une conversation, d'un dialogue, c'est comme si on parlait la même langue mais que chacun entende une langue différente. La Tour de Babel est en nous constamment et partout. 
L'artifice du langage figé dans un code est fait pour nous permettre de vivre en société, ensemble. Cependant, même si on cerne au plus près une vérité collective, il existe à chaque fois des glissements qui font que ce n'est pas la même chose qui est entendue. C'est une erreur de croire que l'on se comprend toujours tout intégralement et en totalité.  Il y a toujours un espace flou qui tient à la singularité de chacun, à son histoire, à son éducation, à ses souvenirs. Jamais personne n'entendra la même chose que quelqu'un d'autre.
Chacun se glisse dans les mots à sa manière. en étant confronté à une double nécessité. Celle du bonheur d'être seul à donner tel sens à tel mot et également celle du bonheur à entrer dans les vieilles pantoufles que sont les lieux communs, les expressions toute-faites. Avec les vieilles expressions je sais qu'on va se comprendre de suite. Avec le sens que je donne aux mots, je conserve l'intégrité du paysage en moi.
Donner de la valeur à ce que l'on a vu, dit, aimé comme à ce qu'on est en train de dire, c'est se reconnaître la capacité à se créer un monde intérieur. La 'parlure', ce dialogue que nous entretenons avec nous même, avec nos mots, nous donne conscience d'être et estime de nous.

Alors, Goûtons les mots, aimons les et aimons nous  !

Ozias
http://www.franceinter.fr/emission-lheure-des-reveurs-francoise-heritier
PS: Françoise Héritier est professeur honoraire au Collège de France. Elle a été directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales et présidente du Conseil national du sida. 

"Je suis entouré de mots dans une forêt bruissante où chacun se démène pour attirer l'attention et prendre le dessus, retenir, intriguer, subjuguer, et chacun aspire à ces échappées belles. Comme si on les sortait de leur prison. On entre dans le domaine de la joie pure. Tous ces mots qui dansent, se déhanchent, se désintègrent, ondulent autour de moi et m'entraînent dans la grande ronde de la fantaisie première. Avec le bricolage surprenant et inattendu des figures qui surgissent alors, on entre dans le grand capharnaüm de la liberté créatrice où tout est permis. […] En jouant avec les mots, je recrée la jouissance de Babel, comme le fait l'enfant qui ne veut pas choisir entre son désir de comprendre exactement ce qui se passe et ce qui se dit autour de lui, et la tentation constante du merveilleux ésotérique auquel il est seul à conférer un sens. […] Les sons sont porteurs de sens. À nous d'en tirer parti pour créer un monde qui nous confronte sans cesse à la myriade étonnante de corrélations compliquées qui s'établissent entre les sons, les couleurs, les saveurs, les odeurs, les touchers, les perceptions intimes et viscérales, les émotions et la pensée consciente. Nous avons ce trésor à explorer plus avant et nous le laisserions en friche ? On ne sort pas du jeu. On l'alimente, comme le feu." (Françoise Héritier, Le goût des mots, éditions Odile Jacob)

Pour illustrer, juste après, un texte de COLETTE, « Le curé sur le mur », La Maison de Claudine, 1922.

À huit ans, j'étais curé sur un mur.
Le mur, épais et haut, qui séparait le jardin de la basse-cour,et dont le faîte, large comme un trottoir, dallé à plat, me servait de piste et de terrasse, inaccessible au commun des mortels. Eh oui, curé sur un mur. Qu'y a-t-il d'incroyable? J'étais curé sans obligation liturgique ni prêche, sans travestissement irrévérencieux, mais, à l'insu de tous, curé. Curé comme vous êtes chauve, monsieur, ou vous, madame,arthritique.

Le mot «presbytère» venait de tomber, cette année-là, dans mon oreille sensible, et d'y faire des ravages. « C'est certainement le presbytère le plus gai que je connaisse... » avait dit quelqu'un. Loin de moi l'idée de demander à l'un de mes parents : « Qu'est-ce que c'est, un presbytère ?» J'avais recueilli en moi le mot mystérieux, comme brodé d'un relief rêche en son commencement, achevé en une longue et rêveuse syllabe... Enrichie d'un secret et d'un doute,je dormais avec le mot et je l'emportais sur mon mur. «Presbytère ! » Je le jetais, par-dessus le toit du poulailler et le jardin de Miton, vers l'horizon toujours brumeux de Moutiers. Du haut de mon mur, le mot sonnait en anathème : « Allez ! vous êtes tous des presbytères ! » criais-je à des bannis invisibles. Un peu plus tard, le mot perdit de son venin, et je m'avisai que « presbytère» pouvait bien être le nom scientifique du petit escargot rayé jaune et noir... Une imprudence perdit tout, pendant une de ces minutes où une enfant, si grave, si chimérique qu'elle soit, ressemble passagèrement à l'idée que s'en font les grandes personnes...
- Maman ! regarde le joli petit presbytère que j'ai trouvé !
- Le joli petit... quoi ?
- Le joli petit presb…
Je me tus, trop tard. Il me fallut apprendre - « Je me demande si cette enfant a tout son bon sens… » - ce que je tenais tant à ignorer, et appeler « les choses par leur nom... »
- Un presbytère, voyons, c'est la maison du curé.
- La maison du curé… Alors, M. le curé Millot habite dans un presbytère ?
- Naturellement. .. Ferme ta bouche, respire par le nez... Naturellement, voyons…
J'essayai encore de réagir... Je luttai contre l'effraction, je serrai contre moi les lambeaux de mon extravagance, je voulus obliger M. Millot à habiter, le temps qu'il me plairait, dans la coquille vide du petit escargot nommé « presbytère… »
- Veux-tu prendre l'habitude de fermer la bouche quand tu ne parles pas ? A quoi penses-tu ?
- À rien, maman...
…Et puis je cédai. Je fus lâche, et je composai avec ma déception. Rejetant le débris du petit escargot écrasé, je ramassai le beau mot, je remontai jusqu'à mon étroite terrasse ombragée de vieux lilas, décorée de cailloux polis et de verroteries comme le nid d'une pie voleuse, je la baptisai « Presbytère », et je me fis curé sur le mur.

mercredi 11 décembre 2013

Plonk et Replonk. Humour.


Plonk et Replonk. Ce pseudonyme inspiré du son d'une enclume rassemble les frères Jacques et Hubert Froidevaux. Reconnus "d'inutilité publique" depuis 1997 ces "Artistes artisans" sont des suisses poètes qui bidouillent des cartes postales anciennes, des livres des films ou encore des objets. Bref, "tout ce qui donne du sens -et de la poésie- à l'existence".

Visite !

Poésie.


Dérision.





"En France, il faut prendre garde aux catholiques. Le mur du couvent sur lequel nous avons ajouté l'inscription Nique ta mère supérieure n'a pas été du goût de tout le monde. En suisse, en revanche, on peut bouffer du pape. Mais il ne faut pas toucher aux chiens."



"Faire des cartes postales, ce n'est pas faire de l'art contemporain .../... Nous sommes les fers de lance du néo mouvement de l'art Temporain, né en réaction à l'art Contemporain, déjà devenu obsolète et pompier".

Le site Plonk et Replonk : http://www.plonkreplonk.ch/

Confession vraie, je viens de subir une intervention chirurgicale à l'abdomen, l'humour fendard de ces plonkeries m'interdit de continuer ce post par crainte d'un  craquage de cicatrice par suites d'un fou-rire.
Continuez la visite sans moi. Sens de la visite 

Sincèrement et à Bientôt,
Ozias


Crédits: Artension Mars-Avril 2012.

vendredi 6 décembre 2013

Scandales au musée

 L'art c'est l'émancipation de l'esprit. 
Aborder des créations artistiques sous l'angle de la controverse permet de saisir une époque, ses tabous, ses peurs et ses aspirations les plus secrètes.

Ainsi, quand au XVIIème siècle, Vélasquez peint le pape Innocent X,  plutôt que le pontife il peint l'homme qui avait comme maîtresse la veuve de son frère aîné. Le tableau est violent. Du rouge, du sang et un blanc loin d'être immaculé.Le regard est dur, presque féroce. Les lèvres fines et pincées. Ce pape menaçant est aussi un homme vieux et solitaire. Vélasquez  a réalisé ce magnifique portrait avec courage, avec lucidité et sans hypocrisie. Scandaleuse réalité !
Vélasquez: Le portrait d' Innocent X


Maurizio Catellan. La Nona Hora.1999.
Maurizio Catellan. Him. 2001.


                                                                                                  
          Encore une histoire de pape, mais cette fois racontée par Maurizio Catelan en 1999. Les reins brisés par la chute d'une météorite, le pauvre Jean-Paul II apparaît faible, fragilisé et finalement inapte à honorer ses fonctions. 

'Him' représente un Hitler hyperréaliste de la taille d'un enfant et en prière à genoux. Miniaturisation et humanisation. Cette oeuvre a fait scandale en 2012 lorsqu'elle fut exposée à l'occasion d'une rétrospective Maurizio Catellan en plein coeur de Varsovie."une provocation insensée qui insulte la mémoire des victimes juives des nazis*". Il est vrai que de nos jours le scandale est souvent synonyme de succés. "Je choque dont je suis" pourrait être la devise de beaucoup d'artistes contemporains dont Maurizio Catellan fait peut être partie.


Ai Weiwei. 'Juin 1994'. 121x155cm.
Ai Weiwei a commencé sa carrière comme artiste officiel chinois et et la continue en tant que contestataire officiel du régime. Inquiété par le gouvernement chinois is continue son combat artistique, social et politique. 'Juin 1994'. Cette photographie marque le cinquième anniversaire du massacre de Tiananmen. Tiananmen, le célèbre portrait de Mao, les soldats qui patrouillent et la culotte de Lu Qing, compagne de Weiwei. En 2011 son atelier fut détruit et Weiwei fut emprisonné. http://aiweiwei.com/

Oleg Kulik est un artiste plasticien russe né à Kiev en 1961. Il est particulièrement connu pour son travail sur l'animalité de l'homme. Selon lui, il ne faut pas que nous nous enfermions dans notre humanité. Dns la série 'Family of the future' Kulik réveille la bête qui sommeille en lui laissant son instinct reprendre le dessus, d'où le caractère zoophile de certains clichés.  En 2008 ses images sont censurées à cause de leur caractère violent, pornographique ou contraire à la dignité humaine'. Ces censeurs ne devaient pas savoir que Kulik disait de lui : 'Je n'ai jamais été un homme'.
Oleg Kulik. saint Sébastien aux oies.

Que Voyez vous dans l'image ci dessous? Un phallus ? C'est bien là ,le scandale. 
Pourtant l'artiste assure n'avoir représenté qu'une femme, simplifiée à l’extrême. L'histoire commence avec la princesse Marie Bonaparte que l'artiste représente penchée sur son miroir dans une sculpture aujourd'hui disparue. Partant de cela, Brancusi tente, conformément à son style, de simplifier la forme à l’extrême, de la purifier. Pendant cinq ans, il polit son oeuvre pour la réduire à cet essentiel qui l'obsède. En 1920, l'oeuvre exposée au salon des indépendants déclenche le scandale, est retirée de l'exposition puis réhabilitée grâce au soutient de 70 artistes et personnalités de l'époque. Personnellement, ça me fait penser à quelque robinetterie princière. Je vous laisse juger.
Constantin Brancusi. Princesse X. 1915-1916.

Balthus, Artiste majeur du XXème siècle et hautement reconnu de son vivant écrit à propos de la 'Leçon de guitare' : "Je veux déclamer au grand jour, avec sincérité et émotion, tout le tragique palpitant d'un drame de la chair, proclamer à grands cris les lois inébranlables de l'instinct" (lettre à Antoinette de Watteville, sa future femme). Balthus s'autocensura ensuite et refusa de montre cette ouevre en public. Le MOMA (à New York) en devint propriétaire, mais certains donateurs influents firent pression quatre années durant pour que ce tableau disparaisse du fond. Elle fut donc vendue et se trouve aujourd'hui dans une collection privée, à l'abri de tout jugement.
Balthus. La leçon de guitare.

"Kissing Policemen" du collectif russe Blue Noses fut qualifié par le ministre de la culture, Alexandre Sokolov, de "photographie pornographique" et de "provocation politique". En Russie, l'homosexualité est dépénalisée depuis 1993 mais, dans les faits, elle est peu tolérée et l'état conserve une attitude rétrograde face à ce sujet. Cette photo est un manifeste, et aussi un hommage au celèbre "Gay Bobbies" du street artist Bansky. 
Blue Noses. Kissing policemen.

Cloaca, dont il existe aujourd’hui huit versions, est une machine qui reproduit le système digestif. Lorsqu’elle est exposée, Cloaca est alimentée et produit des fèces. Wim Delvoye a imaginé cette machine et a collaboré avec des ingénieurs et des scientifiques pour la réaliser. Ces machines ne sont pas à vendre. C’est leur production qui est à vendre. Cloaca fonctionne comme une entreprise dans le sens où Wim Delvoye émet des obligations sur celle-ci. Cloaca est ainsi cotée en bourse, et les obligations engendrent des dividendes annuels pour les détenteurs. http://www.wimdelvoye.be/
Cloaca. Win Delwoye.

Notons aussi, et cela n’est pas anodin, que Cloaca, a son propre site internet :www.cloaca.be . Le visiteur peut y voir les obligations de Cloaca, des photos des différentes versions de la machine et pouvait y commander des étrons emballés sous vide et estampillés du logo Cloaca, le premier par exemple, détournant ceux de Ford et de Coca Cola. Le visiteur y trouvera également des informations sur les expositions passées et biographiques, ainsi que des articles sur Cloaca, téléchargeables. On peut se risquer à avancer que la partie la plus intéressante est la partie appelée « As seen on TV ! ». Elle consiste en des témoignages d’acquéreurs d’étrons de Cloaca, à la manière des publicités pour les régimes miracles et autres objets indispensables à la ménagère. Il nous est dit que cet investissement à bel et bien changé positivement la vie de ces collectionneurs d’art. Il est annoncé au visiteur du site internet que les collectionneurs, grâce à leur merde, ont de meilleures relations avec les autres, une meilleure sexualité, une meilleure vie, une plus grande confiance en eux et sont plus riches ! Ces cacas sont ainsi présentés comme des fétiches, gris-gris, faisant office de véritable baguette magique censée changer, et ici au sens premier, la merde en or. Pour le commun des mortels, la marchandise suprême, objets de tous les désirs serait une belle voiture ou un écran plasma, voire un solitaire, mais ici la merde se veut objet de désir pour les collectionneurs d’art. Et elle y parvient dans le sens où c’est une preuve de goût aujourd’hui, de la part des collectionneurs d’avoir un étron produit par Cloaca. D’une part car en en possédant un, le collectionneur montre qu’il sait apprécier le travail de Wim Delvoye, et ainsi, prouve qu’il est ouvert d’esprit, intelligent et cultivé. D’autre part, car cela montre qu’il sait investir dans des artistes dont la côte va grimper. En plus de la plus value sociale, il en dégagera donc une plus value financière, car son étron lui permettra d’en dégager des bénéfices s’il décide de s’en séparer. Grâce à Wim Delvoye et à Cloaca, la merde, et pas de la merde d’artiste, de la merde produite par une machine à merde cotée en bourse, devient objet de désir et de spéculation pour les collectionneurs d’art, c’est-à-dire, quelques-unes des personnes les plus riches et les plus influentes de ce monde.

Crédits: Le Musée des scandales. L'art qui fâche. Eléa Baucheron. Diane Routex.



* Centre Simon-Wiesenthal

mardi 26 novembre 2013

Francis Bacon, l'effroyable viande*

Francis Bacon. Autoportrait à l'oeil blessé.
'Un triptyque de Bacon vendu pour 142 millions de dollars'
Le Monde.fr avec AFP, AP et Reuters | 13.11.2013 à 03h21

Au delà de sa valeur marchande, que nous dit la peinture de Bacon, en quoi nous touche t'elle  ? 
'La peinture de Francis Bacon (1909-1992) est angoissante. Elle nous met mal à l'aise. Elle montre une viande à l'état brut qui nous rappelle notre condition. Mais, elle est surtout sans concession comme pour dire que le corps n'est que le vestige de la viande'.
Dans ses tableaux, Francis Bacon nous dit : "Nous sommes de la viande, nous sommes des carcasses en puissance".  

Francis Bacon va plus loin que le corps, il cherche à faire parler la chair. Il étudie les sensations de la chair. La chair, c'est la matière du corps. Tout comme la peinture est la matière du tableau ou la pierre celle de la sculpture. La chair constitue la matière du corps vivant. Maintenant comment en exprimer les sensations? Francis Bacon interroge la chair en la tordant, en la crispant. Il tape dans la chair pour en apercevoir les tensions, les forces qui s'exercent contre elle. Ses figures sont contorsionnées, elles sont à la limite de se briser les os, la chair est abîmée, malmenée, presque torturée. Il est important d'ajouter que Francis Bacon ne peint pas des personnages, il ne représente pas une histoire, il n'est en aucun cas figuratif. Il est dans l'expression pure d'une figure faite de chair. Sa figure c'est la chair. On pourrait dire qu'il a personnifié la chair pour le comprendre d'un point de vue illustratif. "


Francis Bacon peint le corps.

Francis Bacon. Portrait de Henrietta Moraes.1963.
"Je te frapperai, sans colère et sans haine, comme un boucher, comme Moïse le Rocher" Baudelaire. Héautontimorouménos. Fleurs du mal.


Estampe.
 "Si une chose est transmise directement, les gens sentent cela comme horrifiant. Ils ont tendance à s'offenser des faits, de ce qu'on a l'habitude d'appeler 'Vérité'." 


Etude pour le corps humain. 1949.

Innocent II. Velasquez.1650
"Ce que je veux faire, c'est déformer la chose et l'écarter de l'apparence, mais dans cette déformation la ramener à l'enregistrement de l'apparence". Francis Bacon.

Francis Bacon ne peint pas l'horreur, il peint le cri.

Le portrait original du Pape Innocent II par Velasquez est empreint d'une grande violence. Dépourvu de miséricorde, ce pape menaçant est aussi menacé par son propre corps. Trois siècles plus tard, Francis Bacon, obsédé par cette image transforme le souverain pontife de Velasquez en un pape hurlant qui semble précipité en enfer. Bacon a été sensible à a la force dénuée d'hypocrisie de ce portrait.


Le pape Innocent X. (Thème fréquent d'après le tableau de Velasquez).
Fragments d'une crucifixion.
Triptyque. 1949.
Crédits :
Philippe Sollers. Les passions de Francis Bacon. Gallimard 1996.
http://tousviandes.blogspot.fr/2013/07/boeufs-ecorches-ou-la-sensation-de-la.html
*Bacon, l'effroyable viande. Alain Milon. Encre Marine.

Pour les curieux, un film de Georges Franju 1949. 'Le sang des bêtes'. Musique de Joseph Cosma.