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jeudi 13 avril 2017

je m'isole

Je sors ce soir (MD). 
D'abord je me demande un peu pourquoi, puis j'ai chaud dans les mains, et ensuite tout mon corps transpire. Puis autour de moi tout se dilate, les sons deviennent lointains et je fonds. Ne pas bouger dans la chute, attendre un peu. 
Alors tout se remet en place et je sens la musique dans les pieds et jusque au bout des doigts. Et je danse. Je danse et alors sort de moi un autre que je suis. La danse est une évidence. C'est bon de sentir que je ne suis pas vide. Plein phares, je cherche d'autres avec qui me connecter.  
Je danse jusqu'à avoir des crampes dans les pieds, jusqu'à n'avoir plus rien à dire. 
Au matin je rentre seul. Il me faut deux jours pour récupérer.

Le sur-lendemain :
-Salut, tu es allé au concert de JiPé samedi  soir ? 
-Non, j'étais à la nuit de la rave
-Ah oui, ma fille y est allée aussi. Le lendemain elle avait l'air fatiguée. Je me demande bien ce qu'elle peut faire là bas.
- ...[courbatures dans la mâchoire]

Dans ma chambre (DXM).
C'est le week-end. Je me couche au milieu de la nuit, tranquille, immobile et bien dissocié.  J'ai mis le casque sur les oreilles. Au programme des mix techno et surtout dark-house, dark-dubstep.
Les rêves arrivent. Tiens, cette fois je viens de mourir et ça me réveille. Dans la chambre je flotte, et je ne retrouve plus mon corps. Heureusement, "Dont be afraid, we are protected" dit la musique. Une autre fois je parle couramment une langue que je ne comprends pas. Et voilà que maintenant je ne sais même plus écrire la lettre E, comment écrire TigrE ?  
Une autre nuit je suis l'aiguille sur mon corps disque microsillon qui tourne comme une vie. Avec le matin ces délires prennent fin et il est l'heure de déjeuner.

(1p-LSD).
Gobé un peu moins d'un buvard. D'abord physiquement agréable, puis sensation de 'speed' au niveau du ventre, comme une tension. Mon 'cerveau d'en bas' ne semble pas apprécier le produit. Pas d'hallucination sonore, visuellement rien de bien spectaculaire non plus à part les pierres du mur d'en face qui se couvrent d'une sorte de mousse brillante. Comme je suis parcouru de tensions nerveuses dans l'abdomen et que mon corps a du mal à réguler les impressions de chaud et de froid (effet classique des psychédéliques), sans me poser de question je laisse le ventre et le cœur gérer mon métabolisme tandis que je focalise mon attention sur ce qui se passe dans ma tête. Cette dissociation, facile avec les psychédéliques, me donne à croire que le corps et l'esprit sont deux entités distinctes. Physiquement, je ressens mon corps posé comme un tas dans le lit  tandis que mon esprit rejoint un espace grand comme un ciel fait de formes colorées qui rappellent les photos des galaxies. L'ectoplasme de mon esprit s'y dissout et je m'y disperse. De nouvelles pensées, discordantes et qui ne semblent pas les miennes prennent alors place entre mes oreilles. Étrange sentiment de m'être perdu, dissout dans l'éther. Je laisse faire...  
J'ai trouvé ce trip dissociatif, avec un passage intéressant mais suivi d'une descente trop longue et fatigante malgré l'aide de l'alprazolam.


Ces expériences sont une cause d'isolement autant que la conséquence de me sentir trop souvent sans réponse, sans retour ou sans un signe. Seul aussi d'être en constant décalage par mes goûts ou mon âge. Ce que je fais ne compte pas, ce que j'écris met mal à l'aise et je reste sans retour, ni personne pour échanger. Trop de mails sans réponse, d'invitations qui tombent à plat, d'images sans commentaires de la part de ceux qui me côtoient. Le sentiment d'incompréhension et le silence conduisent à l'isolement. 

J'ai pensé en anglais que "from pyschonaut to psychopath there is a path" et je pense qu'en français on pourrait traduire ça par "la came-isole". Pourtant mes cheveux poussent et je ne sais pas toujours pas avec qui partager ma situation, alors  je continue doucement, et je ne bois pas, et je ne fume pas.


Merci pour votre lecture, vos mots



"L'intoxiqué s'épanouit jalousement dans un monde qui n'a plus de sens que pour lui et réduit à leur strict minimum les communications extérieures. Il va à l'essentiel; il est souvent à se taire. Les autres se détournent de lui sans qu'il souffre de solitude. Isolé sur les cimes, ce qu'il aperçoit dans la vallée de larmes en contrebas, ne lui laisse au coeur aucun regret. La scission a eu lieu 

vendredi 20 février 2015

la blancheur

"Aujourd'hui la plupart des relations sont sans engagement, la télévision, Internet, chats, forums, sont des moyens d’être là sans y être. Nous sommes connectés plus que reliés, nous communiquons de plus en plus mais rencontrons de en moins moins les autres.
La vitesse, la liquidité des événements, la précarité de l'emploi, les déménagements multiples empêchent la création de relations privilégiées avec les autres et isolent les individus. Seuls la durée, la solidité du lien social, son enracinement donnent la possibilité de se forger des amitiés durables, et donc des formes de reconnaissance au quotidien. 

Ce morcellement du lien social qui isole l' individu le renvoie à sa liberté, à la jouissance de son autonomie ou, au contraire, à son sentiment d'insuffisance, à son échec personnel.  Ce manque d'étayage social  ne facilite pas toujours l'accès à l'autonomie. L'individu est désormais sans orientation pour se construire, ou plutôt, il est confronté à une multitude de possibles et renvoyé à ses ressources propres. 
Dans une société où s'imposent la flexibilité, l'urgence, la vitesse, la concurrence, l'efficacité, etc....être soi ne coule plus de source dans la mesure où il faut à tout instant se mettre au monde, s'ajuster aux circonstances, assumer son autonomie, rester à la hauteur. 

La tentation émerge alors parfois de se déprendre de soi, pour échapper aux routines et aux soucis. Il peut alors arriver que  l'on ne souhaite plus communiquer, ni se projeter dans le temps, ni même participer au présent; que l'on soit sans projet, sans désir et que l'on préfère voir le monde d'une autre rive : c'est la blancheur. La blancheur touche hommes ou femme ordinaires arrivant au bout de leurs ressources pour continuer à assumer leur personnage. C'est un moment particulier hors des mouvements du lien social où l'on disparaît un temps et dont paradoxalement, on peut avoir besoin pour continuer...

"La blancheur de la neige recouvre la complexité et les ambivalences du monde de sa simplicité paisible. Elle rend les choses uniformes. Elle suspend toute responsabilité de l'environnement. Le silence qui règne accentue ce sentiment d'un monde suspendu qui n'exige plus rien et dont il est loisible enfin de se reposer".

Ainsi certaines personnes se défont de leur centre de gravité, se laissent glisser dans le non lieu. L'entreprise est celle d'une dé-naissance, celle de se dépouiller des couches d'identité pour les réduire 'a minima', non pour recommencer à vivre, renaître, mais pour s'effacer avec discrétion. Quand certaines personnes meurent, elles avaient déjà disparu depuis longtemps. La mort n'est plus alors qu'une formalité."

"Ne plus exister, ni par soi, ni par intermédiaire en dehors du verbe être comme de la locution en dehors et de tous les rouages du discours, discours aboli [...] quand nulle part il n'y aura quelqu'un pour exprimer quelque chose." (Michel Leiris 1976).

D'après David Le Breton, Disparaître de soi, une tentation contemporaine.2015 Editions Metaillé.




"Dans sa version positive le renoncement à une certaine forme de soi, à un certain embarras de l'être tel qu'on l'envisage ordinairement, et dont la configuration désuète, compassée, empesée, ne permet plus de saisir ce qui, de la vie comme des vivants, mérite d'être maintenu, dit, ou simplement murmuré  la tremblante fragilité de leur présence."

Nicolas Xanthos : "le souci de l'effacement: insignifiance et narration poétique chez JP Toussaint."
Un pur exemple : René Daumal http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/daumal.html

samedi 31 janvier 2015

consolations


Œil de mon chat, malade.
Quand on est malade, quand on n'est pas bien le moral pâtit, les repères basculent. La sincérité ne va plus de soi. La communication avec l'entourage devient  plus délicate.  
Certains proches veulent alors à tout prix aider et consoler la personne malade qui peut alors se sentir niée ou étouffée. Ne cherchez pas à tout prix à rassurer, consoler ou « secouer » un proche malade, même « pour son bien ».
Voici, ence qui me concerne, quelques petites phrases bien optimistes (ici en italique)  qui ne m'ont pas remonté le moral, mais qui me sont restées :

'Le traitement, tu verras, c'est rien du tout.'  Pourquoi ce  'tu verras' puisqu'il n'y connaissait rien, mais alors vraiment rien du tout.

'Le foie, c'est pas grave, de toute façon, ça repousse'. Peut être, mais pas forcément non plus si il est trop abîmé.
John Ranard. Selfie après transplantation hépatique.
"Une greffe du foie, ça n'est plus un problème. Le foie c'est facile à trouver, c'est pas comme les reins.  Le foie c'est un organe qui ne s’abîme pas donc on en trouve facilement car il y a beaucoup de donneurs de plus de 50 ans. Des greffes de foie, maintenant on en fait tous les jours."
C'est gentil de s'être documenté pour mon cas. Mais moyennement rassurant quand même, car comme le montre la photo de John Ranard, une transplantation, c'est plus qu'une simple boutonnière. Lou Reed et bien d'autres pourraient en témoigner.

D'autres tirent parfois des conclusions hâtives sans prendre le temps d'écouter 

'Tu as de la chance, l'hépatite C, c'est une maladie qui se soigne très bien !' . 
Pas faux, mais pour un Génotype1 avec bithérapie le taux de réussite est de 50%.

Il y a aussi le déni de ce que l'on dit :
moi : -"Je me sens vraiment fatigué
elle : -"Tu es fatigué, c'est normal tu n'as plus vingt ans."
moi : -"Oui, c'est vrai, je me trouve vieux aussi. "
elle : -Ah mais non !  tu n'est pas si vieux que ça !"

Ou encore avec 'la médecine' :
-"Docteur, j'ai mal au foie. ça me serre, et après un repas ça me lance, juste là."
-"Le foie ça fait pas mal. La vésicule non plus on la sent pas. C'est les intestins."
Bon, d'accord...mais quand même, comment les docteurs peuvent ils être sûrs qu'un foie abîmé ça ne se sent pas puisque le leur va bien ?

Il y a aussi ceux qui en rajoutent . Exemple, après une nuit sans dormir, un jour où j'étais vraiment mal, il me salue aussi chaleureusement qu'il peut et il en rajoute, en rajoute
"Holla-là ! quelle mine superbe tu as !" Oui. tu parles....

Ceux qui savent, ou alors qui ne veulent pas savoir :
"Ce qu'il te faut c'est oublier. Ne plus y penser. Surtout, tu oublies ça !". En tout cas je me rappelle avoir pensé que pour un deuil, il suffit d'avoir la même attitude, et hop ! fini. Sauf que bien sûr, ça ne marche pas comme ça.

Et enfin il y a aussi tous ceux qui ne demandent plus jamais "comment ça va", et ceux qui ne demandent plus rien.

Petite bibliographie
CANCER: LE MALADE EST UNE PERSONNE. Par Antoine Spire,Mano Siri
VIVRE ENSEMBLE LA MALADIE D’UN PROCHE. AIDER L’AUTRE ET S’AIDER SOI MEME Dr Christophe Fauré, Albin Michel, 2002

dimanche 29 janvier 2023

LSD25. Histoire de la découverte du LSD

 

Le LSD a été découvert en Suisse en 1943 par Albert Hofmann chimiste aux laboratoires Sandoz alors qu’il travaillait sur de nouvelles propriétés thérapeutiques aux dérivés de l’ergot de seigle.

Bien que l’ergot de seigle soit un redoutable poison identifié dès le XVIIème siècle on connaissait déjà de nombreux usages médicaux dérivés de ce minuscule champignon qui colonise les épis de seigle. Secale cornutum désigne la forme sclérote du Claviceps purpurea, champignon parasite toxique long de quelques millimètres qui pousse sur les épis de céréales et que l’on appelle couramment ergot de seigle’. L’ergot de seigle est décrit dès 1595 par Bauhin (botaniste suisse) puis sera identifié au XIXème siècle par Adolphe de Candolle (autre botaniste suisse) comme étant un champignon.

Source : Wikipedia
L’ergot de seigle fut longtemps responsable d'une maladie, l'ergotisme, appelée au Moyen Âge mal des ardents ou feu de saint Antoine, liée à la présence d'ergot dans le seigle utilisé pour fabriquer le pain. Cette maladie, qui dure jusqu'au XVIIe siècle, provoque des hallucinations semblables à ce que provoque le LSD, et une extrême vasoconstriction artériolaire, suivie de la perte de sensibilité des extrémités des différents membres puis de la nécrose des membres eux même qui peuvent se détacher du corps spontanément et sans hémorragie. À cette époque, les malades consumés par cette maladie étaient considérés comme des exemples de la justice divine possédés par le démon, ce qui se traitait naturellement par l’exorcisme ou le bûcher. 

L’historien Rodolphe écrivait : « En 993, il régna en France une grande mortalité parmi les hommes. C’était un feu caché qui, dès qu’il avait atteint quelque membre, le détachait du corps après l’avoir brûlé. Souvent l’espace d’une nuit suffisait pour cet effet. Beaucoup de gens de toutes classes périrent, et quelques-uns restèrent privés d’une partie de leurs membres pour servir d’exemple de la justice divine à ceux qui viendraient après eux.»  Au 11e siècle, Guérin la Valloire, un jeune noble français, souffrait du feu de Saint Antoine. Il parvint à se remettre du mal qui l'affligeait et attribua sa santé recouvrée aux reliques du saint ; son père et lui fondèrent alors ce qui allait devenir l'Ordre hospitalier de Saint-Antoine vers 1095. À la fin du 15e siècle, les moines avaient construit environ 370 hôpitaux à travers l'Europe, en France, en Flandre, en Allemagne, en Espagne et en Italie pour traiter les foyers de feu de Saint Antoine.

En 1918 le chimiste suisse Arthur Stoll isole l'ergotamine qui ouvre la voie à l'usage thérapeutique moderne de l’ergot de seigle connu pour ses propriétés vaso-constrictrices (qui resserrent les vaisseaux sanguins) utiles pour lutter contre les saignements à la suite de l’accouchement, et aussi contre certaines migraines, crampes etc. En 1929, A la fin de ses études en chimie, à l'Université de Zurich, Albert Hofmann, futur père du LSD, entre au laboratoire de recherches Sandoz à Bâle, comme collaborateur du Pr. Arthur Stoll alors fondateur et directeur de la division Pharmacie de Sandoz. 

Très jeune Albert Hofmann s’est intéressé aux agencements moléculaires des poisons végétaux (ciguë, curare…), aux champignons vénéneux (amanites, ergots…), aux venins, aux plantes psychotropes sacrées, aux phantasticum (haschich, mescaline). En 1930, utilisant du suc digestif d’escargot de Bourgogne, il réussit à isoler la structure chimique de la « chitine » dont sont faites les carapaces, les ailes et les pinces des insectes. En 1932, il s’intéresse à la scille et à la digitale laineuse, des fleurs vénéneuses dont les glucoses sont capables de soutenir un cœur affaibli – ou de l’arrêter. En 1935 Hofmann proposa de reprendre les recherches autour des alcaloïdes de l’ergot de seigle qui avaient conduit à l’isolement de l’ergotamine en 1918.  C’est ainsi qu’en 1938, dans l’intention d’obtenir un stimulant circulatoire et respiratoire, il inventa la vingt-cinquième substance dans la série des descendants synthétiques de l’acide lysergique : le LSD25. Les essais faits sur les animaux ne révélèrent pourtant pas d’intérêt pharmacologique ou médical et les recherches furent de ce fait suspendues. Pourtant, après cinq années d’interruption le chimiste reprit les expérimentations au printemps 1943, mû par le pressentiment que cette substance, dont il “aimait la structure chimique”, pouvait avoir d’autres propriétés. Hofmann a déclaré qu'il avait un "pressentiment particulier" le poussant à resynthétiser le LSD et que cette substance lui "parlait". 

Comment cette intuition a-t-elle pu s’imposer à Hofmann ? Dans le cadre d’une entreprise comme Sandoz, il n’était pas évident d’allouer des ressources à la reprise de recherches considérées comme sans intérêt. Nous ne saurons jamais ce qui a pu le motiver. Hofmann recherchait il secrètement un nouveau psychotrope « phantasticum »  ? Et en quoi la structure chimique de cette molécule lui parlait elle ?

Ce que l’on sait, il nous l’a dit, c’est qu’au cours d'une de ses promenades de jeunesse Hofmann avait eu une épiphanie, une expérience décisive qui conditionna toute sa vie future de chimiste et de d’explorateur du pouvoir des plantes. Ainsi la décrit il bien plus tard dans la préface de son livre « LSD mon enfant terrible » :

"Cela s'est passé un matin de mai - j'ai oublié l'année - mais je peux encore désigner l'endroit exact où cela s'est produit, sur un chemin forestier à Martinsberg, au-dessus de Baden",. "Alors que je me promenais dans les bois fraîchement verdoyants, remplis du chant des oiseaux et éclairés par le soleil du matin, tout à coup, tout est apparu dans une lumière d'une clarté peu commune. Elle brillait du plus bel éclat, parlant au cœur, comme si elle voulait m'englober dans sa majesté. J'étais rempli d'une indescriptible sensation de joie, d'unité et de sécurité béate."…/… Et plus loin il écrit :  Il s'est produit dans ma vie une corrélation aussi inattendue que peu fortuite entre mon activité professionnelle et le spectacle visionnaire de mon enfance. Je voulais accéder à la compréhension de la structure et de l'essence de la matière : c'est ainsi que je suis devenu chimiste. Comme, depuis ma plus tendre enfance, j'étais passionné par le monde des plantes, j'ai décidé de me vouer à la recherche sur les substances constitutives des plantes médicinales. C'est ainsi que j'ai découvert des substances psychoactives, capables de produire des hallucinations et, dans certaines circonstances, d'induire des états visionnaires comparables aux expériences spontanées que je viens de décrire. La plus importante de ces substances a été désignée sous l'appellation "LSD" ».

Hofmann(à droite) dans le labo Sandoz
Au printemps 1943, Albert Hofmann se remet donc à la synthèse du LSD25. Au cours de la phase finale de synthèse, alors qu'il procédait à la purification et à la cristallisation du LSD 25 sous forme de tartrate, il fut troublé dans son travail par des sensations inhabituelles. Voici la description de cet incident, extraite du rapport qu'il envoya au Pr Stoll, son supérieur : « Vendredi dernier 16 avril 1943 en plein après-midi, j'ai dû interrompre mon travail au laboratoire et me rendre à mon domicile. A mon domicile, je me suis allongé et j'ai sombré dans un état second, qui n'était pas désagréable, puisqu'il m'a donné à voir des images fantasmagoriques extrêmement inspirées. J'étais dans un état crépusculaire, les yeux fermés (je trouvais la lumière du jour désagréablement crue), j'étais sous le charme d'images d'une plasticité extraordinaire, sans cesse renouvelées, qui m'offraient un jeu de couleurs d'une richesse kaléidoscopique. Au bout de deux heures environ, cet état se dissipa  «Le caractère, aussi bien que le déroulement de ces visions étranges faisaient penser à un quelconque effet toxique exogène, et je présumai une corrélation avec la substance sur laquelle je venais de travailler, le tartrate de diéthylamide de l'acide lysergique. Je n'arrivais pas très bien à comprendre comment je pouvais avoir résorbé de cette substance, habitué que j'étais à travailler dans des conditions d'hygiène draconiennes, compte tenu de la toxicité avérée des substances de l'ergot. Mais peut-être une infime partie de la solution de LSD était-elle quand même tombée sur mes doigts lors de la cristallisation : ma peau l'aurait alors partiellement résorbée. Si vraiment c'était cette matière qui avait provoqué l'incident que j'ai décrit, il devait nécessairement s'agir d'une substance active à dose infinitésimale. Pour en avoir le cœur net, je décidai de procéder à une auto-expérimentation. Comme je voulais être prudent, je commençai la série d'épreuves que j'avais prévues par la plus petite quantité mesurable, soit 0,25 mg (250 micro-grammes) de tartrate de diéthylamide de l'acide lysergique ».
Résultat et trip report du trip du 19 avril (Bicycle day, extrait) : « des vertiges, des perturbations visuelles, les visages des gens présents semblaient grimacer et présentaient des couleurs très vives ; de fortes perturbations motrices alternant avec des moments de paralysie ; ma tête, mon corps et mes membres paraissaient tous extrêmement lourds, comme remplis de métal ; j’avais des crampes aux mollets, les mains froides et sans sensations ; un goût métallique sur la langue ; la gorge sèche et serrée ; un sentiment de suffocation ; une impression de confusion alternant avec une perception claire de la situation, dans laquelle je me sentais comme à l’extérieur de mon corps, dans la position d’un observateur neutre, alors que je criais ou marmonnais indistinctement, comme à moitié fou. »". 

Convaincu par son expérience (celle du bicycle day) Albert Hofmann fut de suite persuadé que le LSD25 allait ouvrir un champ d’expérimentation psychique et thérapeutique extraordinaire. Surprenant mais authentique, Hofmann invite le professeur Rothlin, directeur du département de pharmacologie des laboratoires Sandoz, à répéter lui-même l’expérience avec ses collaborateurs qui ingérèrent 50 µg de LSD-25 et subirent des effets qui restaient “tout à fait impressionnants et fantastiques”. Stoll et Hofmann déposent alors le brevet du LSD en 1943 en Suisse - et en 1948 aux États-Unis.

Dès 1947 le Professeur Werner A. Stoll, fils d’Arthur Stoll (le boss de Albert Hofmann) publie dans le Schweizer Archiv für Neurologie und Psychiatrie sous le titre « Diéthylamide de l'acide lysergique, un phantasticum du groupe de l'ergo » les premiers résultats d'une expérimentation systématique du LSD chez l'homme, et en particulier sur ses patients.

La suite, est une autre histoire, celle du succès, puis du bannissement, puis de la renaissance d’une substance aussi puissante que magique. Au cours d'une interview de 2006, Hofmann a déclaré :"Mon intérêt pour la chimie a été inspiré par une question philosophique fondamentale : Le monde matériel est-il une manifestation du monde spirituel ? J'espérais trouver des réponses profondes et solides dans les lois solides de la chimie pour répondre à cette question, et appliquer ces réponses aux problématiques et aux questions ouvertes des dimensions spirituelles de la vie."

Ce qui me surprend dans cette histoire, c’est l’audace de Hofmann, son intuition, et même son acharnement pour à découvrir les propriétés psychoactives du LSD25. Pourquoi insiste t’il en 1935 pour reprendre des recherches sur l'ergot de seigle jusqu'en 1938 ?  Puis il remet ça en 1943 bien que le LSD25 ait été déclaré sans intérêt en 1938  ?  Comment se fait-il qu’après son expérience fortuite du 16 avril 1943, qui a été déstabilisante au point qu’il a dû quitter le labo, Hofmann décide de s'auto-administrer le 19 avril (bicycle-day) 250µg d'une substance inconnue aux effets inattendus ? 

Et suite à son auto-expérimentation du bicycle-day qu'il résume dans ses écrits par « à travers ma propre expérience au LSD, je n'en ai connu que les effets démoniaques » comment se fait qu'il propose à ses proches collaborateurs de faire la même expérience ? Dans un contexte professionnel, faire ingérer un produit inconnu pour tester ses effets psychotropes semble irresponsable et frise la lourde faute professionnelle. En pleine guerre mondiale (Europe 1943), quel pouvait être l’état d’esprit des chimistes de ce laboratoire ? Que recherchaient ils vraiment ?

Autant de questions que je me pose et que j’aimerais poser aux descendants de chimistes qui ont travaillé chez Sandoz à l’époque et avec Hofmann. Si vous en connaissez, si vous êtes de ceux là, Merci !

Have a good trip,

Ozias

Reférences :

https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2023/04/19/albert-hofmann-le-pere-du-lsd-disparait-a-102-ans-apres-avoir-ete-fete-au-world-psychedelic-forum-bale/

https://hal-univ-rennes1.archives-ouvertes.fr/hal-01163248/document

https://www.mycodb.fr/forum/viewtopic.php?f=7&t=17

https://www.sciencesetavenir.fr/sante/petite-histoire-medicale-et-hallucinee-du-lsd_29129

https://www.lemonde.fr/blog/fredericjoignot/2022/07/10/albert-hofmann-le-pere-du-lsd-disparait-a-102-ans-apres-avoir-ete-fete-au-world-psychedelic-forum-bale/

https://www.lequotidiendupharmacien.fr/le-mag/histoire-de-la-pharmacie/le-retable-dissenheim-au-secours-de-lergotisme

https://www.nationalgeographic.fr/histoire/le-feu-de-saint-antoine-le-mal-qui-accabla-la-france-au-10e-siecle

https://blog.nationalmuseum.ch/fr/2018/10/voyage-psychedelique/

https://www.davidjaybrown.com/albert-hofmann-ph-d/

Petits chimistes : https://archive.org/details/BookOfAcid/page/n3/mode/2up

jeudi 27 septembre 2012

La métaphore de la métamorphose

La maladie affaiblit, isole et frustre. Au cours du traitement, une histoire a particulièrement résonné en moi, c'est 'La Métamorphose' de Kafka. Je ne prétends pas expliquer ce texte complexe et génial. Je veux simplement dire que cette nouvelle m'a touché car elle traite de l'état l'isolement qui s'abat sur nous  lorsque nous sommes malades, ou simplement différents. Ce texte de Kafka peut se lire comme une métaphore d'une maladie discriminante, qui vous tombe dessus quand on ne l'attend pas. Ce pourrait même être l'hépatite.

La Métamorphose. Franz Kafka . Résumé:
Franz Kafka
Gregor est un voyageur de commerce comme beaucoup d'autres mais un jour, il se réveille transformé en cafard! S’il est bien obligé de s'habituer à sa transformation, ce n’est pas le cas de son entourage. Terrifiée, sa famille ne peut pas supporter de regarder ce fils transformé en cancrelat. 
Ses parents pleurent et s’effondrent, pris entre la vision de leur fils métamorphosé et une photo du “bon fils”, en tenue militaire, intégré dans la société.  Sa soeur a de la pitié pour lui, elle cherche à savoir ce qu’il préfère manger, sans pour autant oser le lui demander. Elle pousse différents aliments devant lui pour voir ce qu’il va manger, comme on le ferait avec un animal. Mais très vite, cette commisération se transformera en devoir, dont elle tire un certain orgueil, puisqu’elle réagira violement le jour où sa mère prendra sa place. Elle ne parle plus à son frère, devenu monstrueux, mais fait son devoir de soeur afin qu’on ne puisse pas lui reprocher son rejet et son dégoût. Elle sauve les apparences, mais ne fait rien pour essayer de sauver son frère. La mère de Gregor, elle, ne peut plus supporter la vue de son fils, elle lui est trop douloureuse. Son père réagit avec violence, allant jusqu’à lui lancer des pommes dont une se fichera dans son dos, sans qu’on le soigne. La famille est persuadée que Gregor n’entend et ne comprend plus rien, qu’il est inaccessible à toute raison, à toute parole, alors que celui-ci observe tout et continue à ressentir des choses. Pas une seule fois, la famille n’essayera d’atteindre Gregor. Son étrangeté est trop radicale à leurs yeux pour qu’ils osent aller vers lui. Ils ne peuvent pas imaginer qu’ils ont encore quelque chose en commun. On le maintient en vie, caché, mais on ne lui parle pas.  La peur et le mépris, voilà tout ce que Gregor suscite. Pourtant, il n’a pas perdu sa sensibilité.
Cette famille qu’il faisait vivre auparavant, qui était fière de lui, lui tourne le dos parce qu’il n’est plus le bon fils. Pour eux, ce monstre n’est plus leur fils ou frère, Gregor a disparu  il faut se débarasser de l’animal qui les encombre. Toute la famille sera soulagée à la mort de Gregor. Celui-ci, blessé par la pomme toujours fichée dans son dos et les mots de sa famille qui rêve d’une vie sans lui, se laisse mourir, sans doute par désespoir mais aussi culpabilisé. Cette famille qui, depuis la transformation de Gregor, a dû reprendre les choses en main pour faire vivre le ménage, va s’épanouir une fois qu’il ne sera plus là. Ils seront plus légers, et débarassés de la honte, pourront songer à marier leur fille.

Cette histoire est avant tout le drame d'un silence. Silence de Gregor qui ne peut expliquer ce qui lui arrive et n’ose exprimer ses sentiments, silence de la famille qui ne veut pas essayer de le comprendre, qui a peur et préfère reléguer leur proche dans une altérité radicale où il ne ressentirait rien et n’aurait besoin d’aucune commisération, d’aucune parole, d’aucune affection. Silence envers la société, à laquelle il ne faut pas demander d’aide ni montrer Gregor pour ne pas provoquer de scandale .
(extraits de   http://blogschizo.wordpress.com/2011/07/03/la-metamorphose-de-kafka-je-suis-le-cancrelat/ par Lana) 

Voici donc une nouvelle courte (150 pages), à la fois réaliste et fantastique, une réflexion sur la différence, la maladie. Discrimination, hontes, silences on retrouve ici des thèmes qui font de l'hépatite une maladie connotée et aussi lourde à porter qu'à traiter. 
Profond, lucide, génial, et sombre. Kafkaïen.
La métamorphose de Kafka décrit principalement les transformations que la maladie de Gregor induit dans son entourage. Plus encore, « Par son ambivalence, la nouvelle de Kafka donne à éprouver, en situation, et dans leur réversibilité même, tous les arguments pro et contra que l’on trouve aujourd’hui mobilisés sur la question de l’euthanasie et des décisions d’interruption de la vie » (Frédérique LeichterFlack).

Pour compléter ce tableau  voici un autre un texte qui montre 'de l'intérieur' l'isolement et les sentiments que suscite une maladie 'qui fait désordre'. Devinette: Qui selon vous a écrit ces mots et de quoi parlait il ?


Ô vous ! hommes qui me tenez pour haineux, obstiné, ou qui me dites misanthrope, comme vous vous méprenez sur moi.  Vous ignorez la cause secrète de ce qui vous semble ainsi, mon cœur et mon caractère inclinaient dès l'enfance au tendre sentiment de la bienveillance, même l'accomplissement de grandes actions, j'y ai toujours été disposé, mais considérez seulement que depuis six ans un état déplorable m'infeste, aggravé par des médecins insensés, et trompé d'année en année dans son espoir d'amélioration. Finalement condamné à la perspective d'un mal durable (dont la guérison peut durer des années ou même être tout à fait impossible), alors que j'étais né avec un tempérament fougueux, plein de vie, prédisposé même aux distractions offertes par la société, j'ai dû tôt m'isoler, mener ma vie dans la solitude, et si j'essayais bien parfois de mettre tout cela de côté, oh ! comme alors j'étais ramené durement à la triste expérience. .../... Pardonnez-moi, si vous me voyez battre en retraite là-même où j'aurais bien aimé me joindre à vous. .../...  Je dois vivre comme un exilé, à l'approche de toute société une peur sans pareille m'assaille, parce que je crains d'être mis en danger, de laisser remarquer mon état – c'est ainsi que j'ai vécu les six derniers mois, passés à la campagne sur les conseils avisés de mon médecin.../...  C'est ainsi que j'ai mené cette vie misérable – vraiment misérable ; un corps si irritable, qu'un changement un peu rapide peut me faire passer de l'euphorie au désespoir le plus complet – patience, voilà tout, c'est elle seulement que je dois choisir pour guide. .../...

Il s'agit de Ludwig van Beethoven qui exprimait le mal être dû à sa surdité dans son 'Testament de Heiligenstadt'. C'était le 6 octobre 1802. Ce jour là, Beethoven a exprimé  ce que beaucoup de malades ressentent  des effets secondaires 'sociaux' de leur affection. 

Maestro, s'il vous plait !


Ozias

jeudi 21 juin 2012

L'histoire d'Ozias


Rembrandt. Le roi Ozias frappé par la lèpre.
Au delà de l'histoire biblique d'Ozias, que j'ai découverte récemment, j'ai toujours été frappé par l'humanité qui se dégage du portrait du roi Ozias par Rembrandt. Il représente un homme puissant et respecté, un roi vainqueur dont soudain la vie  bascule. Malgré son turban et son lourd manteau, le roi est nu. Les mains jointes, le regard vide Ozias se trouve subitement vieux et solitaire.  En fait ce regard nous parait vide car ce qu'il voit se situe au delà de perspectives communes. La révélation de sa maladie lui montre la vanité, la précarité de son pouvoir, et la fragilité de la vie. Comme d'autres images de Rembrandt, ce portrait m'accompagne depuis des dizaines d'années. Ainsi, lorsque j'ai reçu le coup de fil du médecin qui m'annonçait que j'étais porteur du virus de l'hépatite C c'est ce tableau qui m'est venu à l'esprit. J'ai ouvert le livre où il figure afin de le revoir puis de le montrer à ma femme pour m'aider à lui dire. Dieu merci, l'hépatite ça n'est pas la lèpre et la fin de mon histoire n'est pas écrite comme celle du Roi Ozias. Il n'empêche que je reste ébloui par ce tableau  où je retrouve une partie de moi même. Au delà du roi Ozias, au delà de l'hépatite, ce portrait exprime comment l'annonce d'une maladie, d'un revers de la vie nous terrasse, nous désarme, nous isole et nous met face à ce que nous sommes et que nous ne connaissions pas encore. L'histoire d'Ozias est celle de la vacuité des affaires humaines et aussi celle de la découverte de soi au delà des rôles et des rangs. C'est l'histoire d'une histoire qui se brise et donc celle d'une autre histoire qui commence et dont la Bible ne sait rien.  
ozias

..../... [le roi] Ozias avait une armée de gens de guerre, .../.... Le nombre total des chefs des pères, des vaillants guerriers, était de deux mille six cents. Sous leur conduite était une armée de trois cent sept mille cinq cents combattants, tous gens de guerre, forts et vaillants, pour aider le roi contre l'ennemi. Et Ozias leur procura, pour toute l'armée, des boucliers, des lances, des casques, des cuirasses, des arcs et des pierres de fronde. Il fit aussi à Jérusalem des machines de l'invention d'un ingénieur, pour être placées sur les tours et sur les angles, pour lancer des flèches et de grosses pierres. Et sa renommée s'étendit au loin; car il fut merveilleusement aidé, jusqu'à ce qu'il fût devenu fort puissant. 
 Mais lorsqu'il fut puissant, son cœur s'éleva jusqu'à se corrompre; et il commit un péché contre l'Éternel, son Dieu: il entra dans le temple de l'Éternel pour brûler le parfum sur l'autel des parfums. Mais Asaria, le sacrificateur, entra après lui, et avec lui quatre-vingts sacrificateurs de l'Éternel, hommes vaillants,qui s'opposèrent au roi Ozias, et lui dirent: Ce n'est pas à toi, Ozias, d'offrir le parfum à l'Éternel, mais aux sacrificateurs, fils d'Aaron, qui sont consacrés pour cela. Sors du sanctuaire, car tu as péché, et cela ne sera pas à ta gloire devant l'Éternel Dieu. Alors Ozias, qui avait à la main un encensoir pour faire brûler le parfum, se mit en colère, et comme il s'irritait contre les sacrificateurs, la lèpre parut sur son front, en présence des sacrificateurs, dans la maison de l'Éternel, près de l'autel des parfums. Et Asaria, le principal sacrificateur, le regarda ainsi que tous les sacrificateurs, et voici, il avait la lèpre au front. Ils le firent donc sortir en hâte de là; et lui-même se hâta de sortir, parce que l'Éternel l'avait frappé.Le roi Ozias fut ainsi lépreux jusqu'au jour de sa mort, et demeura comme lépreux dans une maison écartée, car il était exclu de la maison de l'Éternel.
La Bible - Chroniques 2-26 Traduction française  Ostervald

dimanche 3 juin 2018

Addiction

Équation du lien sujet/objet (Lacan)
Le terme anglais 'd'addiction' a remplacé celui de 'toxicomanie' en français et a participé à la redéfinition des méthodes d'explication et de soin de ces comportements. En effet, si 'Toxicomanie' renvoie au Toxique qui est le produit 'objet' de l'addict, 'Addiction' renvoie étymologiquement à la situation d'asservissement et insiste sur le lien entre l'usager et le produit. Partant de là on réalise que la lutte contre la toxicomanie conduit  à une politique de répression des drogues tandis que le traitement de l'addiction recouvre une approche plus anthropologique, et plus humaine.

Marion Blancher, philosophe, considère l'addiction comme un mode de relation à un objet et à l'autre et en définitive à soi, qui se caractérise par l'excès, l'univocité et la répétition.  Dans son approche il n'est pas question de relation exclusive au produit ni de jouissance exclusive dans la domination de sa loi, mais d'une  relation aux autres qui n'est possible que par le l'intermédiaire d'un produit.

Être dépendant est en fait caractéristique commune à tous les hommes. Les liens sont constituants et constructifs de tout individu et de sa vie et il est impossible de s'en défaire totalement. L'étude de l'addiction consiste à distinguer les liens qui conduisent à l’autonomie de ceux qui deviennent pathologiques et mènent à l'asservissement de l'individu. 

Dans son article "L’addiction et la difficulté de vivre l’incertitude de la relation" Marion Blancher définit l'addiction comme une pathologie du lien ou plus précisément, comme un lien pathologique. Car l'addiction n'est pas une exception anormale mais une modalité particulière du développement psychique qui, comme tout autre comportement, peut s'expliquer par les lois de la nature humaine. L'addiction est un processus intrinsèque inhérent au fonctionnement humain . En ce sens, c'est moins une maladie résultant d'un écart à la norme (pathologie du lien) qu'un lien pathologique que le sujet subit à tel point qu'il ne peut développer d'autonomie singulière. 

L'addiction, une incapacité à vivre l'incertitude :
Donald Winnicott, psychanalyte, explique l'addiction par le manque d'autonomisation de l'individu lors du passage à l'âge adulte. Une 'maladie de la séparation avec la mère' en quelque sorte.  L'attitude des personnes 'addictes' serait due à une trop forte dépendance à l'Autre, quand l'incertitude que celle ci implique est vécue de manière insupportable et devient comme une disparition de soi. Pour l'addict, la seule manière de supporter l'incertitude semble de chercher une certaine autosuffisance dans la consommation d'un produit qui peut être disponible et maîtrisable à tout moment. 

Le modèle  de Marion Blancher, qui atténue la dimension pathologique de la consommation de psychotropes et met en évidence les mécanismes de compensation et d'autosuffisance face aux frustrations de la relation aux autres, recoupe une expérience personnelle que j'ai relatée sur ce blog sous le titre 'je m'isole'  et où j'écrivais à propos de l'usage de drogues :

" Ces expériences sont une cause d'isolement autant que la conséquence de me sentir trop souvent sans réponse, sans retour ou sans un signe. Seul aussi d'être en constant décalage par mes goûts ou mon âge. Ce que je fais ne compte pas, ce que j'écris met mal à l'aise et je reste sans retour, ni personne pour échanger. Trop de mails sans réponse, d'invitations qui tombent à plat, d'images sans commentaires de la part de ceux qui me côtoient. Le sentiment d'incompréhension et le silence conduisent à l'isolement [et donc à la consommation]."

Ozias
(d'après l'article de  Marion Blancher : 'l'addiction et la difficulté de vivre l'incertitude de la relation') 

"Le produit apporte une satisfaction, mais pas de sens. Le plaisir disparu, reste l'absence de sens que sait réparer le produit" 
"La drogue, c'est bien quand on ne sait pas ce que c'est" (moi)

PS: Un rêve, que j'interprète comme une représentation de l'addiction aliénante.
"J'ai en permanence un mec qui n'est pas moi mais qui est collé à moi. Il est pesant. Je le porte sur mon dos. Il m'accompagne et me suit partout bien que je le chasse. Personne d'autre que moi ne le voit. Pourtant, je n'arrive pas à m'en débarrasser. Il est très lourd à porter. J'essaie de la frapper avec un tournevis pour le faire partir mais, comme il est dans mon dos, j'ai peur de me blesser moi. Il se moquait de moi et me parlait. "Tu m'emmènes où je veux !". Comme un singe derrière la tête." Ozias

Ce rêve m'en rappelle un autre rêve que j'ai fait de façon récurrente jusqu'à ce que je dise à mon psy que je prenais des prods " j'étais en voiture, comme en cavale, avec un cadavre dans le coffre"

Chroniques de la Toxicomanie : https://beta.solid.tube/channel/cto



Drogue et violence symbolique

Distinguer consommation et discrimination Dr Carl Hart 
https://uphns-hub.ca/product/drug-use-for-grown-ups-une-conversation-entre-stephanie-et-le-dernier-livre-du-dr-carl-hart/

http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/laddiction-et-la-difficulte-de-vivre-lincertitude-de-la-relation/ 


Pour Hanna Pickard "les conduites addictives sont  comme une solution intentionnelle trouvée par les personnes pour « pallier une détresse psychologique », dans la veine de ce qu’on appelle l’automédication. Les patients manquent de liberté au sens où ils manquent de « mécanismes d’adaptation alternatifs » c'est-à-dire où ils n’ont pas de meilleure solution, au moment où ils assouvissent l’addiction, pour pallier leur souffrance."
https://www.rvh-synergie.org/images/stories/pdf/trouessin.pdf?fbclid=IwAR1lEo1Djj2RVFguCkStDLYPcyfn2pJCH62vwyKZNdI9c6tsIx4605EQQto

Sur ce blog : 
https://emagicworkshop.blogspot.com/2017/04/je-misole.html
https://emagicworkshop.blogspot.com/2017/08/pourquoi-tu-fais-ca.html
https://emagicworkshop.blogspot.com/2013/07/la-vie-anterieure.html (voir le poème 'avant')

à écouter : https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-a-moudre/sommes-nous-addicts-aux-addictions
à voir https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/lusage-de-drogue-14-les-processus-de-laddiction 

une vidéo qui dit beaucoup de choses : https://www.ted.com/talks/johann_hari_everything_you_think_you_know_about_addiction_is_wrong?language=fr
( https://www.youtube.com/watch?v=PY9DcIMGxMs)


vendredi 8 novembre 2013

Art brut, artiste singulier.

Illuminations. Christine Soler.
La distance qu'introduit la représentation et la mise en scène de nos maux est un moyen de s'en libérer de reprendre le contrôle. Donner une forme à son malaise, à ses souffrances permet de les objectiver et de leur donner du sens. C'est le principe de l'art-thérapie.

Pourtant l'art peut engendrer des souffrances quand il déclenche des pulsions incontrôlables ou quand la réalisation de l'oeuvre réclame trop d'efforts ou d’énergie à son auteur.  
L'oeuvre peut devenir injonction, tyrannie lorsqu'elle compte plus que l'auteur, et que son entourage. L'artiste se trouve exécuteur de la vision ou de la mission qu'il porte ou plutôt qui le porte. La complexité de la réalisation  engendre une souffrance  faite de frustrations, d'efforts et de regrets. D'autre part la quête du contenu et du sens de l'oeuvre peut renvoyer l'artiste à de profondes questions sur son identité son rôle ses choix. Aux souffrances et aux peurs de 'ne pas y arriver', de se tromper de style, de forme ou de sujet, s'ajoute la peur d'apprendre ce que l'oeuvre veut dire et  la découverte de territoires inconnus du Moi. 

 
L'art brut est en prise directe avec le Moi l' intime et l'inconscient car l'artiste s'engage totalement et sans alibi ni refuge d'une école, d'une esthétique. L'artiste 'brut'  s'expose si crûment qu'il frôle forcément l'exhibitionnisme, l'obscénité, presque l'attentat à la pudeur. Comme le sexe l'expression du soi et de nos perceptions intimes dépasse les bornes de la pudeur et du savoir vivre. En s'affranchissant de l'esthétique et en privilégiant l'expression brute et sans censure, l 'art brut vulgarise l'expérience de l'extimité. Si je vois le monde un peu comme beaucoup ne le disent pas, alors quand j'exprime et je communique cette singularité, je deviens moi même singulier. Cette communication singulière, inouïe,  m'isole également et le monde qui m'entoure perd de son aspect familier, habituel, il n'est plus 'comme avant'. Cette expression de l'intime, de l'incommunicable tisse des liens subtils entre catharsis, création artistique,  et alchimie du monde.
Michel Nadjar.
Par nature secret, et parce qu’il n'est pas dit, l'intime n'est jamais consensuel , public ou partagé. L'expression de l'intime est transgressive. Elle réclame une forme d'initiation et porte avec elle une part de mystère. Elle joue avec les symboles et flirte avec l'ésotérisme. Comme l'autopsie des corps la révélation de l'intime au travers de l'art brut sent le souffre. Comme l'accouchement qui délivre à la vie des bébés où se lit la violence du passage et la marque d'un destin,la maïeutique de notre inconscient de nos douleurs et nos malaises peut faire peur. Peur de nos rêves , de nos ivresses ou de nos trips. Peur de se retrouver là où l'on ne se sait plus et peur d'avoir à assumer un destin incompris et révélé.
L'art brut en tant qu'expression portée par la nécessité d'elle même n'est pas innocent, esthétique ou anodin. Il joue avec l'alchimie des rapports subtils qu'il trace et des révélations qu'il offre. L'artiste singulier devient voyant, médium , presque sorcier. Ainsi Michel Nedjar fait de la poupée d'envoûtement son médium favori, les peintures de Joe Coleman sont à la fois plaisantes et inquiétantes. Un lieu comme la Demeure du chaos fait vaciller la rationalité et offre une lecture du monde brute, symbolique et alchimique. Ce côté déstabilisant  rebute ceux qui n'osent affronter ce trouble. 
'Création sans entrave, L'art brut préfère le visionnaire au visible, la vision intérieure aux apparences du monde réel.'
Heureuses découvertes,

Ozias
Joe Coleman. My birth.

Demeure du chaos.
“Nul n’a jamais peint, sculpté, modelé, inventé que pour sortir de l’enfer de la folie”

mercredi 10 septembre 2014

La honte

Esthétique de la honte. Arno.
A cause de leur gravité et de leurs modes de transmission (sexe, salive, sang)  Les maladies stigmatisantes, transmissibles telles que le sida, la tuberculose ou l'hépatite sont de puissants générateurs de honte. Honte d'être contaminé, peur d'être contagieux, colère d'être malade, secret sur les origines de la maladie et honte finalement de se trouver affaibli, plombé, fêlé, humilié exclu.

La honte est un sentiment obscur, un détracteur intime, un "abjecteur de conscience".  Elle diffère par cela de la culpabilité qui est une forme imaginaire de "tribunal de l'âme".
La honte est un mélange de peur et de colère. On peut se la représenter comme un "court-circuit" en interne entre peur et colère face à une situation de souffrance sociale. D
ans l'expérience de la honte, la peur vient en premier et nous alerte sur notre état d'insécurité et d'isolement. Sitôt qu' arrive la colère, réaction naturelle de défense aux attaques, nous bloquons cette colère réparatrice , soit parce nous nous trouvons  dans une situation où objectivement se défendre n'est pas possible du fait du rapport de force inégal, soit parce que nous sommes dans une situation où réagir signifie renier une partie de nous-même ou de notre groupe d'appartenance (notamment la famille). Dans la honte, la colère qui permettrait de restaurer l'estime de soi est bloquée car elle est impossible.
 A l'origine de nos hontes il y a la conscience et l'intériorisation de notre infériorité.  Quoi que je fasse je me sens raté, quoi que je dise, je me trouve minable. 
Et cela est difficile à changer car la honte est aussi un facteur qui empêche la résilience.
Au sens biologique du terme la résilience est la capacité d'un écosystème, d'une espèce ou d'un individu à récupérer un fonctionnement ou un développement normal après avoir subi une perturbation
La résilience se nourrit de relations affectives et de sens (car pour partager il faut un récit).
Sculptés par nos niches sensorielles nous dépendons de ce qui est. 
Après un trauma la plupart des gens ont honte, la plupart des gens ont du mal à en parler. Deux raisons au moins à cela : d'abord se souvenir c'est faire revenir l'horreur et surtout, faire comprendre à l'autre que je suis humilié, c'est lui donner le pouvoir de me faire honte. La honte interdit donc le récit, qui porte le sens, et  détruit la confiance qui permet l'expression, l'écoute le partage, la socialisation.

La honte a une vertu dé-socialisante. Les expressions "Faire honte","Porter la honte" montrent que la honte externe au sujet au départ s'intériorise ensuite dans son Être. Bras armé du conformisme, la honte est sociale. Il n'y a pas de honte sans l'existence d'autrui
Goya
. Elle est un affect éminemment contagieux, qui se transmet de personne à personne dans une logique de verticalité.

En période de guerre, la transmission volontaire de la honte est utilisée auprès des femmes par le viol. Le viol systématique est alors une arme de destruction psychique. L'homme guerrier ne pouvant tuer physiquement la femme ennemie, il la tue psychologiquement en lui faisant honte par le viol. Dans certains pays, notamment en Afrique, ce viol organisé se fait avec la conscience de la violence et du rejet social que la honte du viol va déclencher dans la vie de la victime après le crime.
En même temps, beaucoup de militaires, rongés par la honte, s'appliquent à nier leurs traumatisme psychologique. Ils craignent d'être considérés comme faibles et d'être mis de côté en tant qu'éléments dysfonctionnants pouvant entraver la bonne marche du groupe'. Un grand nombre d'entre eux peinent à retrouver une vie normale et bénéficient rarement d'une véritable écoute. (Pauline Maucort).

D'après Le théâtre intime de la honte (Boris Cyrulnik) et http://www.lahonte.org/4.html
Autre lien à consulter: La honte toxique. Hervé Kopyto : http://kopyto.fr/la-honte-toxique/
http://sansdire.blogspot.fr/2015/08/la-honte-annie-ernaux.html?view=sidebar
Crédit images Arno 'Esthétique de la honte' : http://anartistepeintre.fr/. Goya 'persécution de celui qui n'est pas d'ici'

"La honte est une impossibilité de se fuir pour se cacher de soi même. Horreur d'être "cela" sans pouvoir y échapper."  
Shaming : "Piégé par l'aliénation du groupe, la honte de soi est aussi une dépendance à la pensée du plus grand nombre".


Poème de mes hontes
Ordinaire bien comme il faut, mes hontes sont silences.
Créatures de ces eaux obscures, des mots suintent la nuit de plaies narcissiques et secrètes.
Épaves et coquillages, les mots de la nuit sont laisses de mer au rivage du jour, qu'un soleil lourd œuvre à sublimer.


Ozias


Etude sur l'origine de la honte https://www.ehbonline.org/article/S1090-5138(17)30387-2/fulltext
"La honte servirait à nous inciter à la prudence –ne pas commettre d'actes potentiellement générateurs de dévaluation sociale– et à limiter les dégâts de cette même dévaluation, en endiguant notamment la propagation de notre mauvaise réputation. Une réputation bien plus largement déterminée par la force des croyances d'autrui que par la solidité de tel ou tel fait." 

"La honte isole, elle n'invite pas au partage. Elle pousse au contraire à se distinguer de ce qui porte la marque de l'échec, à les rejeter. Mais si elle ne peut être partagée, elle est particulièrement contagieuse. Le spectacle de la honte d'autrui rend honteux, ce qui suscite immédiatement une réaction de défense vis-à vis du porteur de la honte. On le met à distance parce qu'il "fait" honte. C'est comme un affront à la communauté, une tache qu'il faut effacer. Il y va de la dignité "de l'espèce" de refuser l'identification avec ceux qui représentent "la lie de la société". On perçoit un mouvement contradictoire entre la compassion et le rejet, entre la sollicitude et le mépris, entre la pitié et la stigmatisation, entre la compréhension et le refus de l'autre. La honte unit et répare. Elle conduit à reconnaître autrui comme son semblable et à rejeter tout ce qui, en lui, donne une mauvaise image au groupe d'appartenance". 
Vincent de Gaulejac. Les sources de la honte. 1996.