dimanche 23 juillet 2017

Un autre monde est possible

1994, Pub Benetton avec boat-people albanais
"Un autre monde est possible" est un slogan lancé en 1999 lors des manifestations de Seattle.
"La sorcellerie capitaliste" (2005)  est un ouvrage dans lequel Philippe Pignarre (éditeur) et Isabelle Stengers (philosophe) réfléchissent aux  possibilités de nouvelles formes d'action politiques permettant de s'armer contre la paranoïa et la dépression face au néo-libéralisme dominant. 
C'est un livre dense et passionnant qui met en oeuvre une pensée complexe mixant  politique, philosophie et épistémologie.
L'ouvrage analyse en premier lieu comment tient le capitalisme et aussi comment il nous tient.
Pour les auteurs le capitalisme est un "flux réorganisateur mouvant", qui  nous est asséné comme une rationalité purement économique qui rendrait inutile la politique. Ils qualifient le capitalisme de "système sorcier" dans le sens où toute résistance semble impossible puisqu'elle nous confronte à des "alternatives infernales".  Exemple : " Vous voulez augmenter les salaires ? renforcer la législation protégeant les salariés contre les licenciements ? Mais vous allez provoquer la fermeture des usines, accélérer les délocalisations et mettre les gens au chômage". Cela peut se résumer par : « Vous agissez pour une chose mais les conséquences seront pires. » Ces alternatives infernales capturent notre envie de penser, de poser des questions, elles nous envoûtent.

Ce flux ne tient pas tout seul. Cette grande vague irrésistible est laborieusement fabriquée, maintenue, opérée par une multitude de "petites mains", (nous mêmes),  qui ne disent mot, qui ne pensent pas, qui refusent de penser et entretiennent le système pour que le flux réorganisateur mouvant continue de couler. Le premier pas consiste à résister à se sentir coupable de ce que l'on subit. Avoir à travailler pour vivre n'est pas contraire à penser, proposer, déformer, insister, nuancer, compliquer, donner notre avis, prendre la parole. Un moyen parmi d'autres de jeter du sable dans l'engrenage qui nous broie.
"La sorcellerie capitaliste" nous rappelle que la science n'est pas une victoire de la raison sur l'opinion, le progrès n'autorise pas la simplification. Le pragmatisme est un art des conséquences, un art du "faire attention" qui s'oppose à la philosophie de l'omelette justifiant les œufs cassés. 
Comme le disait Deleuze vers les années 80: " La gauche a besoin que les gens pensent et son rôle est de découvrir les problèmes que la droite veut à tout prix cacher". 
Il s'agit aujourd'hui de "penser par le milieu" , c'est à dire moins en termes de problèmes à résoudre que de de problèmes qui rassemblent. Ainsi, il s'agit plus d’intéresser des partenaires que de convaincre. Reconquérir une autonomie créatrice pragmatique plutôt qu’échafauder des théories alternatives qui prêtent le flanc aux critiques et divisent.
Par exemple, contester une appropriation injuste plutôt que le droit de propriété en général. Ou, autre exemple de prise de position pragmatique et subversive : "Si l'état est mobilisé pour imposer les monopoles commerciaux liés aux brevets de l'industrie pharmaceutique, pourquoi n'aurait il pas le droit d'intervenir, en contrepartie, sur les prix publics des médicaments ?"

Enfin, étant donné que ce système sorcier et ses alternatives infernales opèrent dans un monde qui ne croit plus à la sorcellerie, les auteurs constatent que nous ne possédons plus les moyens de nous en protéger. Lutter contre un système sorcier impose de rendre visible et sensible ses procédés. Il faut aussi trouver des mots pour  transformer le déshonneur de la capture en force qui oblige à penser/sentir/agir (p183).  Apprendre à tracer le cercle, créer l'espace de protection nécessaire à la pratique de ce qui expose et met en risque pour transformer, assister à la venue d'une version nouvelle de ce qui nous est à tous arrivé. Constater notre vulnérabilité, soumettre nos certitudes à l'épreuve des autres et  devenir capables de penser ensemble. Ces techniques font référence à l’activisme altermondialiste néo-paganiste de Starhawk.  

Les auteurs ne prétendent pas donner de remèdes miracles mais d'être des « jeteurs de sonde » pour qui la question reste « peut-on ici passer et comment ? » ce qui implique de toujours faire attention aux circonstances, penser local et intéresser des partenaires.


A lire à propos de la sorcellerie capitaliste:
http://www.humanite.fr/isabelle-stengers-la-gauche-besoin-de-maniere-vitale-que-les-gens-pensent
http://attac.valenciennes.free.fr/sorcellerie.php
Francis Juchereau, « La Sorcellerie capitaliste – pratiques de désenvoutement » [archive], sur lecerclegramsci.com, 2 février 2016 .
Didier Muguet, « La Sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoûtement » [archive], sur ecorev.org, 2006.

Roman d'une aliénation (1943) : http://sansdire.blogspot.fr/2016/02/lhomme-au-marteau.html?view=flipcard
Nouvelles sociologies et enjeux actuels de la critique sociale émancipatricehttp://www.revuedumauss.com.fr/media/PCORC.pdf

Excellent article de fond https://lundi.am/Entretien-avec-Josep-Rafanell-i-Orra

Compléments
Aurélien Berlan, Mathieu Rivat et Isabelle Stengers, « Le prix du progrès : Discussion avec Isabelle Stengers sur les sorcières néopaïennes et la science moderne » [archive], sur jefklak.org .
Catherine Lalonde, « Un grain de sable dans le rouage capitaliste » [archive], sur Le Devoir, 31 octobre 2016 .
Marc Lenglet, « Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient », Lectures,‎ 2009 (lire en ligne [archive]).
Lien externe
Thomas Berns, « Retenue capitaliste et spéculations anticapitalistes » [archive]

à propos des sorcières https://www.franceculture.fr/emissions/lsd-la-serie-documentaire/sorcieres-44-sorcieres-nature-et-feminismes

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