samedi 27 mai 2017

Novlangue néolibérale

Banksy performance: Guantanamo in Disneyland
George Orwell, l'auteur de 1984, écrit :  "Le langage politique est destiné à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l'apparence de la solidité à ce qui n'est que du vent". 
Orwell est l'inventeur de la Novlangue ,(cf 1984), cette langue dont le vocabulaire est construit de manière à pouvoir exprimer les idées orthodoxes exclusivement, la réduction du vocabulaire ayant pour but de rendre impossible la formulation d'idées hérétiques. Orwel note que le procédé le plus emblématique de la novlangue est l'inversion de sens comme par exemple dans le slogan  "La liberté c'est l'esclavage". 

Alain Bihr dans son livre "La novlangue néolibérale", montre que le discours néolibéral procède à une même inversion et réussit à renverser le sens d'un mot en son contraire. Ainsi pour le terme "Egalité" :
"La revendication d'égalité est issue des révolutions démocratiques de l'Europe moderne et contemporaine; elle a été rapidement, souvent dans le cours même de ces révolutions, retournée contre les limites que la bourgeoisie et, plus largement, l'ensemble des classes possédantes, ont cherché à imposer à ces bouleversements révolutionnaires dont elles n'entendaient faire que le simple moyen de leur accession au pouvoir d'état ou de la consolidation de leur emprise sur ce pouvoir. Cette revendication possède donc une portée subversive, potentiellement dangereuse pour l'ordre social capitaliste. Cette menace qui perdure de nos jours se trouve conjurée dans et par le discours néolibéral à travers une double procédure. D'une part, l'égalité est réduite à la seule égalité juridique et civique, l'égalité formelle des individus face au droit, à la loi et à l'état, la seule forme d'égalité qu'exigent et que tolèrent à la fois les rapports capitalistes de production. 
Quant à l'égalité réelle, l'égalité des conditions sociales, elle est rejetée comme synonyme d'uniformité et d'inefficacité, voire comme attentatoire en définitive à la liberté individuelle. D'autre part, pour tenter d'atténuer les effets potentiellement dévastateurs de la contradiction entre l'égalité formelle et l'inégalité réelle, de l’abîme séparant quelquefois les deux, le discours néolibéral se rabat sur la douteuse notion d'"égalité des chances", qui ignore ou feint d'ignorer l'inégalité des chances entre les individus dans la lutte pour l'accession aux meilleures places pour la hiérarchie sociale, qui résulte de leurs situations socio-économiques et culturelles respectives dans la société. Au terme de cette double procédure, le mot égalité est devenu propre à désigner l'inégalité sociale et sa perpétuation (sa reproduction) à travers les luttes de places et de placements. Dans le discours néolibéral : "L'égalité c'est l'inégalité"

Pour le terme "Propriété"
Comme son ancêtre, la pensée libérale, le discours néolibéral défend bec et ongles la propriété privée, en assimilant sous cette forme juridique des rapports sociaux tout à fait hétérogènes : la propriété des moyens de consommation par des ménages; la propriété des biens et des moyens de production par les travailleurs indépendants; la propriété capitaliste des moyens sociaux de production qui résulte de l'exploitation du travail social.../...
L’intérêt idéologique de cette confusion, ses effets de légitimation de la propriété capitalistique sont du même coup manifestes. Là encore, cependant, dans la mesure où cette propriété est fondée sur l'expropriation de l'immense majorité des producteurs, ce bénéfice idéologique est obtenu moyennant une inversion de sens. Dans le discours néolibéral : "La propriété c'est l'expulsion

Le discours néolibéral vise à justifier et renforcer les politiques néolibérales en masquant leur caractère de classe en brouillant l'intelligence de leurs enjeux par les classes dominées. La novlangue néolibérale justifie les politiques qui, à coup de déréglementation des marchés et de libéralisation des échanges, cherchent à asseoir la domination universelle du capital, au détriment de l'humain et de l'environnement.

D'après Alain Bihr. La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste. Syllepse 2017.

Voir aussi l'approche de Marcuse :

mercredi 17 mai 2017

LSA mystique

Argyreia nervosa. fleur et feuille.
L'Argyreia nervosa est une plante  «enthéogène», ce qui signifie qu'on est en présence d'une plante génératrice d'un
sentiment divin à l'intérieur de soi ou permettant d'entrer en contact avec le divin.

Curieux de ces choses, j'ai fait l'essai un dimanche, à minuit...
Avec 4 graines, couché dans le noir sans bouger à écouter du psybient au casque,  le résultat est impressionnant, très introspectif et plutôt couillu comme trip. Le LSA,  principe actif de l'Argyreia nervosa qui est une sorte de LSD, est comme un billet pour le voyage astral . J'étais là où pas, j'étais multiple. Je dirais presque qu'au cours des 6 heures de trip le voyage astral faisait mine d'excursion et j'ai vu des choses si belles qu'il vaut mieux ne pas mettre de mots dessus. Cela ne pourrait qu'être cause d'incompréhensions ou de moqueries.  

J'ai pu découvrir, mais surtout percevoir la dimension spirituelle de l'existence. J'ai aussi exploré un continuum entre les morts et les vivants. Les morts ne sont pas perdus. Ils ne sont plus, mais ils ont existé et ça c'est pour toujours. J'ai pensé: morts ou vivants ceux qu'on aime sont toujours là, c'était très rassurant. De passage chez les morts j'ai retrouvé un collègue disparu le mois dernier (emporté par une  SLA !) Il me parle, sourit, me dit de passer quand je veux. Il y avait aussi mes grands parents. Parmi les vivants je voyais clairement ceux qui m'aiment et qui comptent, des femmes surtout, mes fils.
J'ai ressenti l'Energie aussi distinctement qu'on entend chanter les oiseaux, évidente comme la chaleur du soleil. Quelque part à l'intérieur de moi, au dessous du nombril, il y avait la présence physique évidente d'une chose chaude, forte et vivante et qui bat. Le Hara ?
Sur mon corps ruisselaient des fluides subtils qui protègent, qui vibrent. Sans eux la matière devenait triste, froide, morne. Ces fluides, cette 'Energie' semblaient faits d'instants de vie que nous accrochons à la réalité du monde que nous traversons. Cette Energie nous anime, elle est indestructible. Elle est partout, mais elle est mouvante, on peut la perdre et devenir froid, inanimé, vide.
C'est ce qui m'est arrivé en pleine extase : sur le coup des 3h/4h du matin la musique s'arrête car mon téléphone surchauffe (lui aussi !). Débarqué en plein voyage astral je me retrouve dans mon lit avec un mal au bide carabiné, incapable d'avaler une gorgée d'eau, à la limite du malaise me demandant si j'allais passer la nuit ou si j'allais passer cette nuit...Bien que prêt à partir ce jour ou à y rester sans poser de question, la perspective de l'hospitalisation ou du trépas me paraissait inconvenante pour un dimanche matin en famille et ça me chiffonnait grave.
Après un malaise vagal (ou plus), un maalox et une pointe d'alprazolam j'ai pu reprendre le cours de mon trip, et retrouver, en voyant le jour poindre, cette différence, cette essence immatérielle qui change le vide en plein. C'était comme une poussière, une couleur iridescente comme la robe du calamar, une présence qui se pose sur les choses et les rend vivantes, et qu'il faut retenir. Cette vie c'est à nous de la cultiver, de la protéger. J'ai pensé "l'Energie existe, ne l'oublions pas, cultivons la". 

Ozias

Une thèse au sujet du LSA :
http://docnum.univ-lorraine.fr/public/SCDPHA_T_2004_SCHMUCK_PIERRE.pdf

PsychonautipsLe LSA ça n'est pas un trip récréatif  soigner le setting car gros risque de bad !!!  Avec  4 graines les effets se sont fait sentir après 30mn/1heure durée environ 6h. Je n'ai pas vu venir la montée. Ensuite, compter un jour de récup'. 
Les graines rendent malade (mal au ventre, nausées, malaises vagaux, suées, respiration difficile). Prévoir, Maalox, Vogalène, anxiolitique, certificat médical et directives anticipées à jour !
Cette nuit j'ai été calamar aussi. Je bats des nageoires, j'essaie mes tentacules...
Bonus : Continuum morts-vivants, quelque chose de ce goût là : https://www.youtube.com/watch?v=1-0UuvRui40

a propos de chamanisme http://www.inspir.be/?page_id=2792 

Livre des morts http://www.faena.com/aleph/articles/leonard-cohen-narrates-the-history-of-the-tibetan-book-of-the-dead/

jeudi 11 mai 2017

L'homme à l'étui

l'homme à l'étui à Taganrog
"L'homme à l'étui" est une nouvelle de Anton Tchekhov.  
Belikov, dit "L'Homme à l'étui » est un professeur de grec obsédé par la norme, cherchant à se protéger du monde extérieur coûte que coûte, avec l'ordre comme règle essentielle à sa vie et cherchant à l'imposer aux autres puisque c'est un professeur qui s'arroge le droit de savoir ce qui est bien ou mal.
Extrait : « … Sa pensée, Bélikov tâchait de l'abriter, elle aussi, dans un étui. Seuls étaient nets pour lui les circulaires et les articles de journaux où l'on interdisait quelque chose. Quand les circulaires défendaient aux élèves de sortir dans la rue après neuf heures du soir ou que quelque part on s'élevait contre l'amour physique, cela était clair, déterminé. « C'est défendu, il suffit ! »... » 
Belikov ne trouve ses repères que dans l'interdit.
C'est un psychorigide qui a peur de la vie. Ses collègues professeur ont peur de lui car ils redoutent qu'avec formalisme et acharnement  ils les cafarde auprès des supérieurs. C'est d'ailleurs ce dont Belikov menace son adversaire Kovalenko à l'issue d'une conversation échauffée avec ce dernier : "Je suis obligé de transmettre à Monsieur le Proviseur un aperçu de notre conversation... dans ses grandes lignes. Je suis contraint de le faire." Or, tout le monde sait qu'une fois saisi, le pouvoir doit s'exercer et émettre un jugement prudemment coercitif qui fera autorité et qui abondera dans le sens de la plus grande prudence et de la moindre audace.
La nouvelle de Tchekhov décrit un cas presque pathologique, mais elle dénonce aussi l'ennui de la vie de province et la tyrannie morale qui s'y exercent naturellement. 
Tchekhov décrit avec précision comment cet homme 'verdâtre et sombre comme un nuage'
parvient à faire autorité. Il montre aussi la façon dont un tel dispositif de contrôle, comme dirait Michel Foucault, se met en place de façon spontanée et pesante mais aussi fragile : Belikov meurt dans la honte suite à une chute sans gravité et un éclat de rire. Tchekhov  précise que : "Dans son cercueil il avait une expression douce, agréable, même gaie comme s'il fut content d'avoir enfin été mis dans un étui dont il ne sortirait jamais. Il avait atteint son idéal".
Mais dans l'homme à l'étui, Tchekhov nous interroge aussi sur ce qui peut donner un tel pouvoir à un homme si triste, et plus généralement sur la façon dont fonctionnent les dispositifs de contrôle des sociétés.


L'expression favorite de Bélikov est "pourvu qu'il n'arrive rien" ce qui me rappelle des mises en garde de mon père  pour les départs en voyage "faites bien attention qu'il ne vous arrive rien".
Mais finalement, en y réfléchissant un peu, en regardant une page de pub à la télé, on peut comprendre que ce "pourvu qu'il n'arrive rien" est le moto de n importe quel système. 
Ainsi, "En marche pour que rien ne change" me semble le slogan inconscient des électeurs Macron. En effet, pourquoi un cadre qui vit confortablement sur ses compétences et son réseau voudrait il que le monde change  ? Comment un retraité souhaiterait il un gouvernement qui dégrade la solvabilité de sa pension ?
Spontanément tout est fait pour que rien ne change. "Personne n'ose provoquer l'avenir. Il faudrait être fou pour provoquer l'avenir". De plus les dispositifs de contrôle influencent la probabilité des choix de ce qui est préférable.

Et en d'autres termes, pourquoi changer quand on peut continuer ?
Dans la réalité, *"Il est faux de prétendre qu'il est dans l’intérêt des individus de refuser ou de renverser les dispositifs de contrôle..../... Il n'est pas dans l'intérêt d'un salarié de renverser le système de production actuel. Il est même possible que nous soyons dans une société où résistance et refus n'ait aucun intérêt.../...
"Il n'y a ni intérêt ni nécessité dans la résistance. [pourtant] On ne peut que constater l'existence d'êtres qui n'agissent pas selon leur intérêt, contrariant ainsi les dispositifs de contrôle. Plus radicalement encore, Nietzsche, considère que seules les forces réactives évaluent une chose selon son utilité ou une action selon son intérêt. Pour Nietzsche 'Une morale d'esclave est essentiellement une morale de l'utilité'
.../... . 
Il est par contre possible de sentir une sympathie ou une convenance, une tristesse ou une allergie, avec ce qui recouvre notre combinaison propre."
C'est bien une expérience intime, une blessure intérieure, une transgression comme l'homosexualité de Michel Foucault ou le sentiment d'injustice qui seuls nous poussent à la lutte et à l'émancipation sans prendre en considération notre intérêt matériel immédiat. 

En dépit du ton narratif de sa nouvelle, Tchekhov nous fait réfléchir sur notre propre folie à travers le regard des autres : Pourquoi les gens sont insensibles ? À quoi mène le rejet de sa propre responsabilité ?
Alors, « Si vous ne craignez pas de vous piquer aux orties, prenez le petit sentier qui conduit à l’annexe et nous jetterons un coup d’œil à l’intérieur. » 

Lire L'homme à l'étui https://beq.ebooksgratuits.com/classiques/Tchekhov_Lhomme_a_letui.pdf

Ecouter l'homme à l'étui sur France Culture : 
https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/anton-tchekhov-et-maxime-gorki

*Olivier Razac: 'Avec Foucault Après Foucault'. p116-118. Editions de L'Harmattan
http://www.etudes-tchekhoviennes.com/mariemorisseau_hommealetui.pdf