vendredi 20 février 2015

la blancheur

"Aujourd'hui la plupart des relations sont sans engagement, la télévision, Internet, chats, forums, sont des moyens d’être là sans y être. Nous sommes connectés plus que reliés, nous communiquons de plus en plus mais rencontrons de en moins moins les autres.
La vitesse, la liquidité des événements, la précarité de l'emploi, les déménagements multiples empêchent la création de relations privilégiées avec les autres et isolent les individus. Seuls la durée, la solidité du lien social, son enracinement donnent la possibilité de se forger des amitiés durables, et donc des formes de reconnaissance au quotidien. 

Ce morcellement du lien social qui isole l' individu le renvoie à sa liberté, à la jouissance de son autonomie ou, au contraire, à son sentiment d'insuffisance, à son échec personnel.  Ce manque d'étayage social  ne facilite pas toujours l'accès à l'autonomie. L'individu est désormais sans orientation pour se construire, ou plutôt, il est confronté à une multitude de possibles et renvoyé à ses ressources propres. 
Dans une société où s'imposent la flexibilité, l'urgence, la vitesse, la concurrence, l'efficacité, etc....être soi ne coule plus de source dans la mesure où il faut à tout instant se mettre au monde, s'ajuster aux circonstances, assumer son autonomie, rester à la hauteur. 

La tentation émerge alors parfois de se déprendre de soi, pour échapper aux routines et aux soucis. Il peut alors arriver que  l'on ne souhaite plus communiquer, ni se projeter dans le temps, ni même participer au présent; que l'on soit sans projet, sans désir et que l'on préfère voir le monde d'une autre rive : c'est la blancheur. La blancheur touche hommes ou femme ordinaires arrivant au bout de leurs ressources pour continuer à assumer leur personnage. C'est un moment particulier hors des mouvements du lien social où l'on disparaît un temps et dont paradoxalement, on peut avoir besoin pour continuer...

"La blancheur de la neige recouvre la complexité et les ambivalences du monde de sa simplicité paisible. Elle rend les choses uniformes. Elle suspend toute responsabilité de l'environnement. Le silence qui règne accentue ce sentiment d'un monde suspendu qui n'exige plus rien et dont il est loisible enfin de se reposer".

Ainsi certaines personnes se défont de leur centre de gravité, se laissent glisser dans le non lieu. L'entreprise est celle d'une dé-naissance, celle de se dépouiller des couches d'identité pour les réduire 'a minima', non pour recommencer à vivre, renaître, mais pour s'effacer avec discrétion. Quand certaines personnes meurent, elles avaient déjà disparu depuis longtemps. La mort n'est plus alors qu'une formalité."

"Ne plus exister, ni par soi, ni par intermédiaire en dehors du verbe être comme de la locution en dehors et de tous les rouages du discours, discours aboli [...] quand nulle part il n'y aura quelqu'un pour exprimer quelque chose." (Michel Leiris 1976).

D'après David Le Breton, Disparaître de soi, une tentation contemporaine.2015 Editions Metaillé.




"Dans sa version positive le renoncement à une certaine forme de soi, à un certain embarras de l'être tel qu'on l'envisage ordinairement, et dont la configuration désuète, compassée, empesée, ne permet plus de saisir ce qui, de la vie comme des vivants, mérite d'être maintenu, dit, ou simplement murmuré  la tremblante fragilité de leur présence."

Nicolas Xanthos : "le souci de l'effacement: insignifiance et narration poétique chez JP Toussaint."
Un pur exemple : René Daumal http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/daumal.html

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