jeudi 1 mai 2014

Guérir du désir de guérir

Honoré Daumier. Malade imaginaire.
Dans son livre, 'Le patient autonome' et sur France Culture le 16 avril dernier, Philippe  Barrier, philosophe et patient nous parle de son approche de la maladie, de la santé, et de la médecine. Voici ce que j'en retiens.
Nous sommes un corps et ce corps est le témoin et la mémoire du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes et avec le monde qui nous entoure. Lorsque nous 'tombons malades' la maladie brise notre équilibre de vie et remet en cause notre rapport au monde et à nous mêmes. Nos emplois du temps comme nos priorités sont changés par les analyses, les visites les interventions, les questions, les résultats.  Notre confiance en nous, en notre avenir sont bouleversés et remis en question. Nous nous trouvons alors désarçonnés et contraints de vivre avec notre pathologie et à découvrir un nouvel équilibre. La première idée qui se présente est de guérir, faire disparaître la maladie et revenir au plus vite à notre équilibre connu de bien portant.  Pourtant, dans le cas de maladies chroniques, longues ou si la maladie nous laisse des séquelles, un tel retour en arrière sera bien difficile, voire impossible.

D'autre part la société et la médecine posent en termes d'impératif moral l'injonction de se soigner et de revenir à un équilibre de 'bien portant'.  Au delà de la perspective de la guérison,  la question de la maladie, et en particulier la maladie chronique,  se pose donc à nous sous la forme d' une crise de notre normalité ou plutôt de notre normativité,  qu'il nous faudra résoudre.
Un équilibre peut se créer dès lors que la norme de 'bonne santé' n’est pas vécue comme une contrainte extérieure, mais davantage comme un appui du dedans, c'est à dire non pas comme une norme imposée de l'extérieur, mais comme une normativité intérieure à établir.
La maladie doit s'intégrer à une refondation identitaire. La pathologie  crée une occasion de se restructurer et permet d'ancrer une identité . Ainsi, la vraie guérison, dans le cas de maladies chroniques ne peut venir que par guérir du désir de guérir, par la production d'une auto-normativité qui nous rend auteurs de nos vies.

L'ouvrage "Le patient autonome" traite plus spécifiquement des rapports entre le patient et son médecin. Philippe Barrier soutient, avec raison, que le patient est le mieux placé pour savoir ce qui chez lui est pathologique. Le savoir médical et le savoir existentiel du patient sont les deux faces de la connaissance de la maladie. Le refus de l'écoute du patient fait passer le médecin à côté de la vraie pathologie.  "Le patient autonome" est un plaidoyer pour une définition par le patient, avec l'aide bienveillante de son médecin, de sa propre norme de santé, lui permettant de repenser la place de la maladie dans sa vie.



Petite bibliographie:
Le Normal et le Pathologique de Georges Canguilhem (publié en 1943, complété 1966)
'Georges Canghilem défend la théorie selon laquelle le pathologique ne peut se définir de manière objective. En effet, il n’est pas possible de comprendre la maladie outre la représentation qu’en fait le malade puisqu’elle est définie par la conscience du malade et non par celle du médecin. La maladie est donc perçue au travers du vécu du malade comme qualitative et l’observation du médecin confirme cette différence qualitative de l’état du patient. Toute modification de la santé est donc à la fois quantitative et qualitative.
Cependant, pour Canguilhem, il n’existe pas d’opposition marquée entre le normal et le pathologique dans la mesure où l’état normal ne peut être considéré seulement par rapport à un milieu donné et que le pathologique est en lui­ même « normal ». Il obéit à sa propre normativité : être malade, c’est encore « vivre », ce qui suppose agir encore selon des normes. La mala­die est alors vue comme « un effort de la nature en l’homme pour obtenir un nouvel équilibre.' 
Canguil­hem considère d’autre part qu’un retour à la norme antérieure d’un état pathologique, à savoir la guérison, est « la reconquête d’un état de stabilité des normes physiologiques ». Or, « aucune guérison n’est un retour à l’innocence physiologique car il y a irréversibilité de la normativité biologique ». Ainsi, « guérir, c’est se donner de nouvelles normes de vie, parfois supérieures aux anciennes », mais jamais identiques.

La blessure et la force de Philippe Barrier (2010).
'L'auteur, principalement à partir de sa propre expérience, analyse le parcours à la fois difficile et enrichissant d une relation complexe à la norme de santé, habituellement étiquetée comme maladie chronique. Il y découvre, au sein des forces contradictoires en oeuvre, des potentialités équilibrantes ou « auto-normatives » qui offrent au malade la possibilité d'une restructuration individuelle positive avec la maladie. Il y voit une opportunité pour une évolution prometteuse vers une dimension intelligemment   «autonomisante », et peut-être moins arrogante, de la relation médicale de soin.'


Le patient autonome de Philippe Barrier (2014)
'La question de l’autonomie du patient ne peut être enfermée dans une alternative stérile entre liberté totale ou, au contraire, tutelle médicale. Le vrai problème et sa solution résident dans la conception de la norme. Cet ouvrage fait l’hypothèse que le patient possède une potentialité "auto-normative" qui le rend susceptible de penser par lui-même sa santé, dans une étroite collaboration avec le médecin. La relation médecin-malade apparaît dès lors comme un enrichissement mutuel. Par une succession de prises de consciences, le patient peut parvenir à une revalorisation de sa vie avec la maladie, qui lui permettra éventuellement de donner une dimension éthique et pédagogique à son « épreuve de la maladie ».'

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