jeudi 27 juin 2013

Histoire des plaisirs solitaires.

Egon Schiele. Autoportrait.
"Les victimes de l'ardeur génitale, chaque jour font un pas de plus vers la tombe.", diagnostique en 1848, dans Hygiène et Philosophie du mariage, A.Debay, médecin militaire. 
Dans l'absolu ce n'est  pas faux, mais il faut préciser que cela s'applique à chacun d'entre nous, chaque jour, onanistes ou pas.
"A mon avis, ni la peste ni la guerre, ni la variole, ni une foule de maux semblables n'ont des résultats plus désastreux pour l'humanité que cette fatale habitude [la masturbation]. C'est l'élément destructeur des sociétés civilisées et d'autant plus actif qu'il agit continuellement et mine peu à peu toutes les générations.", certifiait en 1828 un certain docteur Simon (qui n'a rien à voir avec le Simon des années 70'), dans la Revue médicale française et étrangère.

Au commencement, la chasse impitoyable aux pollueurs a pour origine un lointain malentendu. La genèse du problème remonte à la Bible. Onan, fils de Juda, en couchant conformément à la volonté de son père avec la femme de son défunt frère, Er, laisse volontairement s'écouler sa semence à terre pour ne pas donner de descendance à son frère. Une façon de faire l'amour qui déplut en très haut lieux et Jéhovah le fit mourir sur le champ du déshonneur. 

 
Titien. Venus d'Urbino.
A la fin du XVIème siècle le franciscain Benedicti confirme le châtiment de Dieu et déclare : "Quiconque se procure pollution volontaire hors le mariage, qui est appelée par les théologiens mollities, il pèche contre l'ordre naturel."   Bien que  l'Eglise condamne d'une main de fer dans un gant de velours ceux qui pratiquent l'onanisme, en pratique, 
jusqu'au XVIIème siècle, les confesseurs sont arrangeants. Les verdicts ne se fondent pas alors sur les conséquences physiques néfastes de l'acte. En effet, les médecins de l'époque pensent qu'écouler volontairement un trop plein de sperme peut être dans certains cas bénéfiques. De même dans les campagnes, on encourage les jeunes des deux sexes à se masturber pour éviter les grossesses précoces.

Une (dé)charge violente est lancée dès 1715 en Grande Bretagne avec la publication de Onania (De John Marten, et soustitré, The Heinous Sin of Self-Pollution, and all its Frightful Consequences in Both Sexes).   Cette année 1715 célèbre à la fois la mort du Roi Soleil et celle de la veuve poignet. Pour la première fois un imprécateur annonce son intention de combattre "l'odieux péché de la masturbation et toutes ses conséquences affreuses pour les deux sexes avec des conseils d'ordre moral et d'ordre physique à ceux qui se sont déjà causé des dommages par cette pratique abominable"..../... Fornication et adultère peuvent être pardonnés, mais quiconque commet la "self pollution" travaille à la destruction de son espèce et porte un coup, d'une certaine manière, à la création elle même. Ulcères, abcès, convulsions, épilepsie, consomption, impuissance, chaude-pisse, retards de croissance et pour finir la mort sont censés menacer le coupable. En dehors des classiques repentirs et mortifications, sont prescrits de l'exercice physique, des bains glacés, et des régimes alimentaires sans fèves, pois, artichauts qui font gonfler les parties génitales. Le plumitif auteur d'Onania , nanti d'un sens commercial aigu, conseille à ses lecteurs de se procurer la "teinture revigorante" et la "poudre prolifique" vendues par un libraire de ses amis respectivement à 10 shilling le flacon et à 12 shillings le sachet. Business is business !


Suite à cette saillie albionesque, les médecins allemands se mettent au pas et lancent une version moderne de la ceinture de chasteté  : une culotte hermétique à l'avant et fermée à double tour à l'arrière, par une serrure dont l'enfant doit demander la clé pour se rendre aux toilettes. Les mains sont aussi maintenues par des liens serrés qui les empêchent de descendre au dessous du nombril. Les enseignants germaniques développent une théorie pédagogique anti-masturbatoire  basée sur une vigilance de tous les instants.../...Ainsi, les cabinets de toilette, lieux de perdition, ces "tombeaux de l'innocence", sont aménagés de façon à observer ce qui se passe à l'intérieur.
L'Angleterre, l'Allemagne, la France, en pleine révolution industrielle, craignent que leurs enfants ne coulent une bielle à force de mettre leur petite machine en mouvement. A la fin du XIXème siècle la peur se propage aux états Unis.  Les médecins étaient alors persuadés que les aliments riches et goûteux incitaient à la masturbation. C'est ainsi que, les Kellogs corn flakes furent, parait il,  conçus par un médecin adventiste qui préconisait par ailleurs de mettre de l'acide carbonique sur le clitoris des filles, ou de coudre le prépuce des garçons.

Il faut attendre 1936 pour que le docteur Bergé enseigne aux éducateurs et aux parents comment expliquer la masturbation aux enfants sans les traumatiser. Pour les amener en douceur à ne pas trop caresser leur tige, Il faut leur dire que "toutes les plantes, tous les êtres vivants  se développent  d'autant plus robustement qu'on les respecte d'avantage et qu'on les touche moins souvent". Puis, en 1948, la publication du rapport Kinsey aux états unis ébranle la planète: tous les américains se branlent ! et 92% de la population  fait l'expérience de la masturbation jusqu'à l'orgasme.
De même, en France, le rapport du père René Simon  constate qu'en 1970 les trois quarts des hommes pratiquent la masturbation. Durant ces mêmes années de guerre froide entre les sexes, l'onanisme devient plaisir pour tous et surtout pour toutes. En 1974 le rapport 'Hite', un texte majeur du combat de la libération de la femme montre comment les américaines grimpent en solitaire au septième ciel et combien cette ascension leur procure de jouissance..../...Comme proclament les féministes, l'émancipation se gagnera à la force du poignet !

La morale de cette histoire est double pour moi. D'abord, je constate qu'aujourd'hui, le tabou de la masturbation laisse les mains libres mais continue de clouer les becs. 
Je me demande aussi quelle théorie médico-morale contemporaine a remplacé le délire sur  l'onanisme du XIXème. Comme toujours, "On voit la paille dans le nez de son voisin, mais pas la poudre dans le sien."

Santé !
Ozias



Crédits:SUPER POSITIONS. Anna ALTER, Perrine CHERCHEVE. 
2004. HACHETTE Littératures.

Post sur le même sujet dans ce blog :
 http://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/03/interferon-ribavirine-effets.html

A consulter : https://fr.wikipedia.org/wiki/Masturbation
A ne pas manquer :
https://dangerousminds.net/comments/dead_at_17_the_fatal_consequences_of_masturbation--a_handy_guide_from_1830

Marcel Proust : d'une main  http://delibere.fr/erotisme-marcel-proust-d-une-main/

Confessions d'un apprenti prêtre
https://youtu.be/aiIPNwG10RE
Dali. Le grand masturbateur

Mihaly von Zichy
 Quelques expressions pour les messieurs : Astiquer la tige,  cinq contre un, la bataille des jésuites, la prière des moines, le bonheur du sacristain, se faire des orphelins

Pour les dames : Sonner le tocsin, effeuiller, clitoriser, gamahucher, gabahoter.

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