samedi 25 mai 2013

L'étranger. Exprimer l'indicible.

La maladie, la pénibilité du traitement me laissent plus misanthrope qu'avant.  Sans doute une conséquence de ce décalage avec le reste du monde qui a continué à courir quand  je restais crucifié de fatigue sur mon sofa. Un an d'angoisses, de fatigues, de frustrations. un an où j'ai réalisé ce que signifie 'se passer de soi même'. N'être là pour personne, ne plus se reconnaître devenir étranger à soi même, aux autres.  Mélancolie, dépression, démangeaisons, sautes d'humeur et convalescence bref, une année où cette question revient :  comment parler de ce que l'on est seul à ressentir, de ce qui n’intéresse pas grand monde, comment  exprimer l'indicible ? Comment parle t'on ?

Vous avez sûrement lu l'étranger d'Albert Camus. Les premiers mots du roman sont  'Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut être hier, je ne sais pas'. Vous souvenez vous de Meursault le héros de ce roman ? 
Meursault est un  garçon simple mais décalé. Il cherche toujours à se comporter 'comme il faut' et se sent contraint de se justifier sans cesse pour faire face aux convenances. On le dirait sans émotion, inhumain. 
Meursault refuse de mentir, de jouer le jeu de la société. Il ne parle pas pour rien dire, il ne parle que lorsqu'il a quelque chose à dire et paradoxalement  cela  le rend décalé, inhumain, et inquiétant.
'Meursault est l'homme qui dit "oui" pour ne plus avoir à parler. Impossible dialogue : autrui ne peut me comprendre; je ne peux comprendre autrui.
Cette impossibilité à rentrer en communication avec l'autre poursuit Meursaults dès le premier chapitre: Meursault se sent par exemple, accusé par le regard de son propre patron; - pourtant neutre- semblant le considérer avec un brin de malveillance lorsqu'il prend quelques jours de congé, afin d'assister à l'enterrement de sa mère. Meursault se sentant obligé de bredouiller quelques explications ne trouvera de la part de son patron qu'un profond silence.("J'ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n'avait pas l'air content. Je lui ai même dit "ça n'est pas de ma faute". Il n'a pas répondu."). puis c'est au tour des paroles du directeur de la maison de retraite - pourtant neutre, là encore !-  face auxquelles Meursault se sent contraint de lui donner quelques explications. Et tout le récit est émaillé comme cela de simples remarques comme "je n'ai pas entendu".  Par exemple au moment de la mise en bière de la mère de Meursault: "l'employé des pompes funèbres m'a dit quelque-chose que je n'ai pas entendu" Voici donc le caractère insolite de son réel qui sert aussi l'effet de l'absurde. Autrement dit l'incapacité d'entendre l'autre, la volonté du silence. 
Les gestes des autres sont vides de sens, les corps sont étrangers, seuls quelques fragments du corps, quelques fragments de gestes peuvent être perçus, l'homme absurde, selon Camus, ne pouvant percevoir les hommes dans leur unité, donc dans une signification globale.'*



Alors, comment parle t'on ?
...
*Etranger à soi-même, étranger au monde ? une lecture de L'étranger de Camus. (Paru dans La Presse Littéraire n°11, sept-oct-nov. 2007, revu et augmenté en avril 2011http://marcalpozzo.blogspirit.com/archive/2008/01/06/etranger-a-soi-meme-etranger-au-monde-une-lecture-de-l-etran.html

Autre post dans ce sur un thème proche : La métaphore de la métamorphosehttp://emagicworkshop.blogspot.fr/2012/09/la-metaphore-de-la-metamorphose.html

Extrait de la bande dessinée "L'étranger' d'après Albert Camus. Illustré par Jacques Ferrandez.

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